Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/25

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La Femme

Pourquoi te cacher de moi ?… Voyons… tu sais que je ne suis pas jalouse…

Le mari

Mais c’est fou… Tu perds la tête, en vérité… Il ne s’agit pas que tu sois jalouse ou non… Cette dame… je l’ai rencontrée… comme tout le monde, sur la route… Et elle m’a si peu intéressé que… maintenant… je ne saurais dire si elle est blonde ou brune… grasse ou maigre… laide ou jolie…

La Femme

Jolie… oui… très… très jolie… et délicieusement blonde…

Le mari

Eh bien… tant mieux pour elle…

(Un silence.)
La Femme, après un moment de réflexion.

Écoute, André… Ce n’est pas gai ici… je m’en rends compte… Je comprends parfaitement toute la tristesse de ta vie,… et j’en souffre autant que de l’irréparable douleur de la mienne… Une malade… telle que je suis… ça éloigne les gens, comme un crime… Les amis ont vite fait d’oublier le chemin d’une maison où il y a toujours quelqu’un qui pleure… Tant qu’on peut leur offrir de la joie… du plaisir… ou de la vanité… on en a plus qu’on ne voudrait… Mais dès que le malheur a franchi le seuil de la maison… elle est vite abandonnée… Toi aussi tu es très seul, à cause de moi… Et ce n’est pas juste… Pense que personne n’est venu nous voir, cet été… Pense que nos enfants eux-mêmes trouvent sans cesse à leur absence des excuses et des prétextes, dont