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AGA KHAN

reux… et je vis que ce n’était pas, comme avant l’arrivée, simplement de l’affection, mais de l’affection mêlée de reconnaissance pour le regard que le prince et la princesse avaient donné au peuple… »

« La nuit, pendant les illuminations, dans une voiture spéciale qui avait été gracieusement mise à ma disposition par la police, et en compagnie de deux de mes amis intimes — (nous étions tous trois déguisés en indigènes ordinaires) — j’allai dans les rues et m’y promenai jusqu’aux premières heures du matin, de tous les côtés et surtout dans les principaux quartiers de la ville illuminée. Je n’oublierai jamais la scénerie de cette nuit. Des larmes de joie coulaient sur les visages des vieillards et des jeunes gens Bengalis, qui étaient probablement de ces étudiants en pleine agitation quelques semaines auparavant. Au milieu d’un groupe nombreux, j’allai vers un vieil homme, un musulman qui semblait profondément ému. Sa barbe grise était mouillée des larmes de joie qu’il avait versées, et ses yeux humides témoignaient d’une satisfaction joyeuse, qu’on voit rarement sur le visage de véritables vieillards. J’allai à lui, et lui demandai pourquoi il versait des larmes et paraissait si heureux. Il se tourna et dit avec une expression que je n’oublierai jamais : « J’ai été le voir arriver l’autre jour. Son premier regard (et tout ce qu’il a fait ces jours-ci l’a confirmé) a montré qu’il était Homme et qu’il nous considérait comme des Hommes. Ah ! qu’il est bon d’avoir un Homme pouvant sentir que nous sommes des êtres humains… Après tous ces Lord Sahibs qui semblent se croire des superhommes, et nous considèrent comme des vermines et des reptiles, c’était là une vue de bonheur. Je crie de joie, parce que l’héritier de l’Empire Indien et sa femme nous considèrent comme des êtres humains. »

« Les centaines de gens qui entouraient le vieil homme disaient d’une seule voix : Shabash, Shabash, et regardaient