Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/221

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lière ; et M. Auger a dit justement qu’on applaudissait toujours avec transport « cette admirable scène de brouillerie et de raccommodement, délicieuse image d’une nature charmante, que Molière a reproduite plusieurs fois sans la surpasser, et qu’on a mille fois répétée d’après lui sans l’égaler jamais. » — Nous ajouterons que le Dépit amoureux est l’une des pièces de notre ancien répertoire qui ont gardé à la scène le plus de fraîcheur et de jeunesse.

« Dans cette pièce, dit M. Bazin, on ne saurait encore signaler aucune intention de satire contemporaine, si ce n’est peut-être le passage où un bretteur, du nom de la Rapière, vient offrir ses services à Éraste, qui les refuse avec mépris. Un des meilleurs services qu’avait rendus le prince de Conti aux états de Montpellier, moins de deux ans avant l’époque où nous sommes, était d’avoir obligé, non sans peine, la noblesse de Languedoc à souscrire la promesse d’observer les édits du roi contre les duels. Cette disposition pacifique contrariait singulièrement (comme le remarque Loret, lettre du 6 février 1655) les gentilshommes à maigre pitance qui se faisaient un revenu de leur assistance dans les rencontres meurtrières, et la scène iii de l’acte V pourrait bien regarder ces spadassins récalcitrants. »

Le sujet du Dépit amoureux est emprunté à l’Interesse de Nicolò Secchi. Mais si l’auteur italien a donné l’idée première et quelques-uns des ressorts romanesques de la pièce, la disposition générale, le dialogue, les détails appartiennent entièrement à l’auteur français, qui reste dans les meilleures scènes complétement original. M. Viardot indique encore comme ayant fourni quelques traits à Molière, le Chien du jardinier, el Perro del Hortelano, de Lope de Vega ; enfin, d’après Riccoboni et Cailhava, la célèbre scène des deux amants serait prise dans un caneva italien : gli Sdegni Amorosi, les Dépits amoureux. Cailhava cite cette scène dans son traité de l’Art de la comédie ; mais, selon M. Aimé Martin, la situation y est à peine indiquée, et ce n’est pas là que Molière a pu trouver des inspirations. Le véritable modèle de ce tableau charmant est, comme l’a remarqué Voltaire, l’ode d’Horace, Donec gratus eram tibi, etc.