Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/12

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M. Viardot émet, non sans cause, un avis tout opposé. Voltaire se montre également sévère. Suivant lui, le genre sérieux et galant n’était point dans le génie de Molière ; car, dit-il, « cette espèce de poëme n’ayant ni le plaisant de la comédie , ni les grandes passions de la tragédie, tombe naturellement dans l’insipidité. La Princesse d’Élide réussit beaucoup dans une cour qui ne respiroit que la joie, et qui, au milieu de tant de plaisirs, ne pouvoit critiquer avec sévérité un ouvrage fait à la hâte pour embellir la fête... Mais rarement les ouvrages faits pour des fêtes réussissent-ils au théâtre de Paris. Ceux à qui la fête est donnée sont toujours indulgents ; mais le public est toujours sévère.» L’extrême précipitation avec laquelle la pièce fut composée peut du reste servir d’excuse à l’auteur. Ce fut plutôt un canevas qu’une véritable œuvre dramatique, et ce qui le prouve, c’est que l’auteur ne put écrire en vers que le premier acte et la première scène du second.

La Princesse d’Èlide n’ajouta rien à la gloire de Molière ; mais s’il fallait s’en rapporter à la plupart des commentateurs, elle doit faire date dans sa vie, car elle fut pour sa femme l’occasion des premiers désordres, et l’on sait quelle influence exercèrent sur le génie du poète les infortunes du mari. Voici ce qu’on lit à ce propos dans le travail de M. Taschereau :

« Mademoiselle Molière[1], qui, jusque-là chargée seulement de rôles secondaires, n’avait pas encore trouvé l’occasion de faire éclater dans tout leur jour ses grâces attrayantes et son talent aimable, remplissait celui de la princesse. Elle obtint, par la manière dont elle s’en acquitta, les suffrages de tout ce que Versailles renfermait alors de plus brillant, et les jeunes seigneurs s’empressèrent autour d’elle. Fière de tant d’hommages, la nouvelle idole s’en laissa enivrer. Elle s’éprit du comte de Guiche,fils du comte de Grammont, l’homme le plus agréable de la cour, et rebuta pendant quelque temps le comte de Lauzun. Mais, soit froideur naturelle, comme le fait entendre un historien, soit qu’il fut occupé par une autre passion, le comte de Guiche ne répondit pas aux avances de mademoiselle Molière. Celle-ci, fatiguée de soupirer en vain, se résigna à écouter Lauzun, qui préludait par les comédiennes pour s’élever bientôt aux filles des rois. Ce commerce dura quelque temps ; mais d’obligeants amis, d’autres disent un amant trompé, l’abbé de Richelieu, en instruisirent Molière. Il demanda une explication à sa femme, qui se tira de cette situation difficile avec tout le talent et tout l’art qu’elle mettait à remplir ses rôles. Elle avoua adroitement son

  1. Au dix-septième siècle, les femmes mariées, dans la bourgeoisie riche, gardaient, en prenant le nom de leur mari, le titre de mademoiselle. Mademoiselle Molière a toujours la même signification que madame Molière.