Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/438

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Dorine
Mais quoi !…


Orgon
Mais quoi !… Taisez-vous, vous. Parlez à votre écot[1] ;

Je vous défends, tout net, d’oser dire un seul mot.

Cléante
Si par quelque conseil vous souffrez qu’on réponde…


Orgon
1310Mon frère, vos conseils sont les meilleurs du monde ;

Ils sont bien raisonnés, et j’en fais un grand cas :
Mais vous trouverez bon que je n’en use pas.

Elmire, à son mari.
À voir ce que je vois, je ne sais plus que dire ;

Et votre aveuglement fait que je vous admire.
1315C’est être bien coiffé, bien prévenu de lui,
Que de nous démentir sur le fait d’aujourd’hui !

Orgon
Je suis votre valet, et crois les apparences.

Pour mon fripon de fils je sais vos complaisances ;
Et vous avez eu peur de le désavouer
1320Du trait qu’à ce pauvre homme il a voulu jouer.
Vous étiez trop tranquille, enfin, pour être crue ;
Et vous auriez paru d’autre manière émue.

Elmire
Est-ce qu’au simple aveu d’un amoureux transport,

Il faut que notre honneur se gendarme si fort ?
1325Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche
Que le feu dans les yeux, et l’injure à la bouche ?
Pour moi, de tels propos je me ris simplement ;
Et l’éclat, là-dessus, ne me plaît nullement.
J’aime qu’avec douceur nous nous montrions sages ;
1330Et ne suis point du tout pour ces prudes sauvages
Dont l’honneur est armé de griffes et de dents,
Et veut au moindre mot dévisager les gens.
Me préserve le ciel d’une telle sagesse !
Je veux une vertu qui ne soit point diablesse,
1335Et crois que d’un refus la discrète froideur
N’en est pas moins puissante à rebuter un cœur.

  1. Parlez à votre écot, c’est-à-dire : Parlez à ceux qui sont de votre écot, de votre compagnie.
    (Petitot.)