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AMPHITRYON



ACTE PREMIER





Scène I



Sosie, seul

Qui va là ? Heu ! Ma peur, à chaque pas, s’accroît !
Messieurs, ami de tout le monde.
Ah ! quelle audace sans seconde
De marcher à l’heure qu’il est !
Que mon maître, couvert de gloire,
Me joue ici d’un vilain tour !
Quoi ? si pour son prochain il avait quelque amour,
M’aurait-il fait partir par une nuit si noire ?
Et, pour me renvoyer annoncer son retour
Et le détail de sa victoire,
Ne pouvait-il pas bien attendre qu’il fût jour ?
Sosie, à quelle servitude
Tes jours sont-ils assujettis !
Notre sort est beaucoup plus rude
Chez les grands que chez les petits.
Ils veulent que pour eux tout soit, dans la nature,
Obligé de s’immoler.
Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure,
Dès qu’ils parlent, il faut voler.
Vingt ans d’assidu service
N’en obtiennent rien pour nous ;
Le moindre petit caprice
Nous attire leur courroux.
Cependant notre âme insensée
S’acharne au vain honneur de demeurer près d’eux,
Et s’y veut contenter de la fausse pensée
Qu’ont tous les autres gens que nous sommes heureux.
Vers la retraite en vain la raison nous appelle,
En vain notre dépit quelquefois y consent ;
Leur vue a sur notre zèle
Un ascendant trop puissant,
Et la moindre faveur d’un coup d’œil caressant