Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/520

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
510
LES FEMMES SAVANTES.


Clitandre.
Non, Madame, mon cœur qui dissimule peu,
Ne sent nulle contrainte à faire un libre aveu.
Dans aucun embarras un tel pas ne me jette ;
Et j’avouerai tout haut d’une âme franche et nette,
Que les tendres liens où je suis arrêté,

(Montrant Henriette.)

Mon amour et mes vœux, sont tout de ce côté.
Qu’à nulle émotion cet aveu ne vous porte ;
Vous avez bien voulu les choses de la sorte.
Vos attraits m’avoient pris, et mes tendres soupirs
Vous ont assez prouvé l’ardeur de mes desirs ;
Mon cœur vous consacroit une flamme immortelle :
Mais vos yeux n’ont pas cru leur conquête assez belle
J’ai souffert sous leur joug cent mépris différents ;
Ils régnoient sur mon ame en superbes tyrans ;
Et je me suis cherché, lassé de tant de peines,
Des vainqueurs plus humains, et de moins rudes chaînes.

(Montrant Henriette.)

Je les ai rencontrés, Madame, dans ces yeux,
Et leurs traits à jamais me seront précieux ;
D’un regard pitoyable ils ont séché mes larmes,
Et n’ont pas dédaigné le rebut de vos charmes ;
De si rares bontés m’ont si bien su toucher,
Qu’il n’est rien qui me puisse à mes fers arracher,
Et j’ose maintenant vous conjurer, Madame,
De ne vouloir tenter nul effort sur ma flamme,
De ne point essayer à rappeler un cœur
Résolu de mourir dans cette douce ardeur.

Armande.
Hé ! qui vous dit, monsieur, que l’on ait cette envie,
Et que de vous enfin si fort on se soucie ?
Je vous trouve plaisant, de vous le figurer,
Et bien impertinent de me le déclarer[1].

Henriette.
Hé ! doucement, ma sœur. Où donc est la morale

  1. Arsinoé dit également à Alceste qui la refuse :
    Eh ! croyez-vous, monsieur qu'on ait cette pensée
    Et que de vous avoir on soit tant empressée ?
    Je vous trouve un esprit bien plein de vanité,
    Si de cette créance il peut s'être flatté.