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LES FEMMES SAVANTES.

Et qu’il ne voudroit pas changer sa renommée
Contre tous les honneurs d’un général d’armée.

Henriette.
C’est avoir de bons yeux que de voir tout cela.

Clitandre.
Jusques à sa figure encor la chose alla,
Et je vis, par les vers qu’à la tête il nous jette,
De quel air il falloit que fût fait le poète ;
Et j’en avois si bien deviné tous les traits,
Que, rencontrant un homme un jour dans le Palais[1],
Je gageai que c’étoit Trissotin en personne,
Et je vis qu’en effet la gageure étoit bonne.

Henriette.
Quel conte !

Clitandre.
Quel conte ! Non ; je dis la chose comme elle est.
Mais je vois votre tante. Agréez, s’il vous plait,
Que mon cœur lui déclare ici notre mystère,
Et gagne sa faveur auprès de votre mère.


Scène IV.

Clitandre, Bélise.

Clitandre.
Souffrez, pour vous parler, madame, qu’un amant
Prenne l’occasion de cet heureux moment,
Et se découvre à vous de la sincère flamme…

Bélise.
Ah ! tout beau : gardez-vous de m’ouvrir trop votre ame.
Si je vous ai su mettre au rang de mes amants,
Contentez-vous des yeux pour vos seuls truchements,
Et ne m’expliquez point, par un autre langage,
Des desirs qui chez moi passent pour un outrage.
Aimez-moi, soupirez, brûlez pour mes appas ;
Mais qu’il me soit permis de ne le savoir pas.
Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,
Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes ;
Mais, si la bouche vient à s’en vouloir mêler,

  1. À cette époque, les galeries du Palais de Justice offraient le spectacle animé que présente aujourd’hui le Palais-Royal. C’était le rendez-vous à la mode. Corneille a fait une comédie en cinq actes sous le titre de Galerie du Palais. (Aimé Martin.)