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LES FEMMES SAVANTES.

Trissotin.
Sonnet à la princesse Uranie, sur sa fievre[1].
Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement,
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.

Bélise.
Ah ! le joli début !

Armande.
Ah ! le joli début ! Qu’il a le tour galant !

Philaminte.
Lui seul des vers aisés possède le talent !

Armande.
À prudence endormie il faut rendre les armes.

Bélise.
Loger son ennemie est pour moi plein de charmes.

Philaminte.
J’aime superbement et magnifiquement ;
Ces deux adverbes joints font admirablement.

Bélise.
Prêtons l’oreille au reste.

Trissotin.
Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement,

  1. Le sonnet se trouve dans les Œuvres galantes en prose et en vers de M. Certin, chez Étienne Loison. Paris, 1603. Il est intitulé Sonnet à mademoiselle de Longueville, à présent duchesse de Nemours, sur sa fièvre quarte. — Ce fut Boileau qui fournit l’idée de la scène entre Trissotin et Vadins. On a blâmé Molière d’avoir ainsi mis sur la scène un ecclésiastique de soixante ans. M. Aimé Martin, à propos de cette critique, dit avec raison que, comme première excuse, Molière avait été attaqué le premier, qu’il n’a fait que se défendre :« Il se venge, dit le commentateur que nous venons de citer, du méchant poëte, mais il ne dit rien ni de l’ecclésiastique ni du prédicateur ; il fait plus, il sépare si bien le poëte de l’homme privé, que les contemporains ne peuvent les confondre ; car ce qu’il y a de vil dans le personnage de Trissotin (sa cupidité, sa persévérance à vouloir épouser Henriette) ne pouvoit convenir à un ecclésiastique de soixante ans. Ainsi Molière ne diffame pas la vie de Cotin, il joue ses ridicules. La punition qu’il lui propose est d’ailleurs aussi spirituelle que singulière ; c’est d’être admiré par les précieuses, c’est de s’entendre répéter en public les éloges que ces dames lui donnaient tous les jours en particulier.

    Cotin, du reste méritait bien les sarcasmes de Molière ; car il était difficile de pousser plus loin le pédantisme et la vanité. En faisant allusion à son prénom de Charles, il disait : « Mon chiffre, c’est deux CC entrelacés, qui, retournés et joints ensemble, forment un cercle ; cela veut dire un peu mystiquement que mes œuvres rempliront le rond de la terre quand elles seront toutes reliées ensemble ; car mes Énigmes ont été traduites en italien et en espagnol, et mon Cantique des Cantiques envoyé par toute la terre, etc. »