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XIII VIE DE MOLIÈRE

tûmes, et quelquefois les ridicules qu’il avait si souvent joués sur le théâtre, tant il est vrai que les hommes qui sont au-dessus des autres par le talent s’en rapprochent presque toujours par les faiblesses ; car pourquoi les talents nous mettraient-ils au-dessus de l’humanité ?

La dernière pièce qu’il composa fut le Malade imaginaire. Il y avait quelque temps que sa poitrine était attaquée et qu’il crachait quelquefois du sang. Le jour de la troisième représentation, il se sentit plus incommodé qu’auparavant : on lui conseilla de ne point jouer ; mais il voulut faire un effort sur lui-même, et cet effort lui coûta la vie. Il lui prit une convulsion en prononçant Juro, dans le divertissement de la réception du malade imaginaire. On le rapporta mourant chez lui, rue de Richelieu. Il fut assisté quelques instants par deux de ces religieuses qui viennent quêter à Paris pendant le carême, et qu’il logeait chez lui. Il mourut entre leurs bras, étouffé par le sang qui lui sortait par la bouche, le 17 février 1673, âgé de cinquante-trois ans 1 . Il ne laissa qu’une fille, qui avait beaucoup d’esprit. Sa veuve épousa un comédien nommé Guérin.

Le malheur qu’il avait eu de ne pouvoir mourir avec les secours de la religion, et la prévention contre la comédie, déterminèrent Harlay de Chanvalon, archevêque de Paris, si connu par ses intrigues galantes, à refuser la sépulture à Molière. Le roi le regrettait ; et ce monarque, dont il avait été le domestique et le pensionnaire, eut la bonté de prier l’archevêque de Paris de le faire inhumer dans une église. Le curé de Saint-Eustache, sa paroisse, ne voulut pas s’en charger. La populace, qui ne connaissait dans Molière que le comédien, et qui ignorait qu’il avait été un excellent auteur, un philosophe, un grand homme en son genre, s’attroupa en foule à la porte de sa maison le jour du convoi : sa veuve fut obligée de jeter de l’argent par les fenêtres ; et ces misérables, qui auraient, sans savoir pourquoi, troublé l’enterrement, accompagnèrent le corps avec respect.

La difficulté qu’on fit de lui donner la sépulture, et les injustices qu’il avait essuyées pendant sa vie, engagèrent le fameux P. Bouhours à composer cette espèce d’épitaphe, qui, de toutes celles qu’on fit pour Molière, est la seule qui mérite d’être rapportée et la seule qui ne soit pas dans cette fausse 1. Il n’avait que cinquante et un ans.