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ŒUVRES COMPLÈTES DE MOLIÈRE XVI

nous disait d’une autre façon la moitié de ce que nous dit Molière.

II

Qui est-ce qui égale Racine dans l’art de peindre l’amour ? C’est Molière (dans la proportion que comporte la différence absolue de deux genres) . Voyez les scènes des amants dans le Dépit amoureux, premier élan de son génie ; dans le Misanthrope, entendez Alceste s’écrier : A h ! traîtresse ! quand il ne croit pas un mot de toutes les protestations d’amour que lui fait Célimène, et que pourtant il est enchanté qu’elle les lui fasse ; dans le Tartufe, relisez toute cette admirable scène où deux amants viennent de se raccommoder, et où l’un des deux, après la paix faite et scellée, dit pour première parole : Ah çà ! n’ai-je pas lieu de me plaindre de vous ? Revoyez cent traits de cette force, et, si vous avez aimé, vous tomberez aux genoux de Molière, et vous répéterez ce mot de Sadi : Voilà celui qui sait comme on aime. Qui est-ce qui égale Racine dans le dialogue ? qui est-ce qui a un aussi grand nombre de ces vers pleins, de ces vers nés, qui n’ont pas pu être autrement qu’ils ne sont, qu’on retient dès qu’on les entend, et que le lecteur croit avoir faits ? C’est encore Molière. Quelle foule de vers charmants ! quelle facilité ! quelle énergie ! surtout quel naturel ! Ne cessons de le dire : le naturel est le charme le plus sûr et le plus durable ; c’est lui qui fait vivre les ouvrages, parce que c’est lui qui les fait aimer ; c’est le naturel qui rend les écrits des anciens si précieux, parce que, maniant un idiome plus heureux que le nôtre, ils sentaient moins le besoin de l’esprit ; c’est le naturel qui distingue le plus les grands écrivains, parce qu’un des caractères du génie est de produire sans effort ; c’est le naturel qui a mis La Fontaine, qui n’inventa rien, à côté des génies inventeurs : enfin c’est le naturel qui fait que les Lettres d’une mère à sa fille sont quelque chose, et que celles de Balzac, de Voiture, et la déclamation et l’affectation en tout genre, sont, comme dit Sosie, rien ou peu de chose.

III

Les Crispins de Regnard, les paysans de Dancourt, font rire au théâtre ; Dufresny étincelle d’esprit dans sa tournure