Page:Molière - Œuvres complètes, Garnier, 1904, tome 01.djvu/28

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permet pas même de le rapporter ici, cette méprise est impossible. Il fallait que l’on fût bien accoutumé à compter pour rien le bon sens et les bienséances, puisque la plupart des pièces du temps n’étaient ni plus vraisemblables ni plus décentes. C’est pourtant dans cet ouvrage, dont le fond est si vicieux, que Molière fit voir les premiers traits du talent qui lui était propre. Deux scènes dont il n’y avait point de modèle, et que lui seul pouvait faire, celles de la brouillerie des deux amants, et du valet avec la suivante, annonçaient l’homme qui allait ramener la comédie à son but, à l’imitation de la nature. Elles sont si parfaites, à deux ou trois vers près, qu’elles ont suffi pour faire vivre l’ouvrage, et ces deux scènes valent mieux que beaucoup de comédies.

Dès son troisième ouvrage, il sortit entièrement de la route tracée et en ouvrit une où personne n’osa le suivre. Les Précieuses ridicules, quoique ce ne fût qu’un acte sans intrigue, firent une véritable révolution : l’on vit pour la première fois sur la scène le tableau d’un ridicule réel et la critique de la société. Elles furent jouées quatre mois de suite avec le plus grand succès. Le jargon des mauvais romans, qui était devenu celui du beau monde, le galimatias sentimental, le phébus des conversations, les compliments en métaphores et en énigmes, la galanterie ampoulée, la recherche des jeux de mots, toute cette malheureuse dépense d’esprit pour n’avoir pas le sens commun fut foudroyée d’un seul coup. Un comédien corrigea la cour et la ville, et fit voir que c’est le bon esprit qui enseigne le bon ton, que ceux qu’on appelle les gens du monde croient posséder exclusivement. Il fallut convenir que Molière avait raison ; et, quand il montra le miroir, il fit rougir ceux qui s’y regardaient. Tout ce qu’il avait censuré disparut bientôt, excepté les jeux de mots, sorte d’esprit trop commode pour que ceux qui n’en ont pas d’autre puissent se résoudre à y renoncer.

Quand on lit ce passage de Molière : « La belle chose de faire entrer aux conversations du Louvre de vieilles équivoques ramassées parmi les boues des halles et de la place Maubert !

La jolie façon de plaisanter pour les courtisans ! et 

qu’un homme montre d’esprit lorsqu’il vient vous dire : Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon œil, à cause que Bonneuil est un village à trois lieues de Paris ; cela n’est-il pas bien galant et bien spirituel ? » ne dirait-on pas que ce morceau a été écrit hier ?