Page:Molière - Œuvres complètes, Hachette, 1873, tome 09.djvu/73

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henriette.

15Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;
Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,
Qui blesse la pensée et fasse frissonner.

armande.

De tels attachements, ô Ciel ! sont pour vous plaire[1] ?

henriette.

20Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire,
Que d’attacher à soi, par le titre d’époux,
Un homme qui vous aime et soit aimé de vous,
Et de cette union, de tendresse suivie[2]
Se faire les douceurs d’une innocente vie ?
25Ce nœud, bien assorti, n’a-t-il pas des appas[3] ?

armande.

Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas[4] !
Que vous jouez au monde un petit personnage,
De vous claquemurer[5] aux choses du ménage.
Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants
30Qu’un idole[6] d’époux et des marmots d’enfants !


    Corneille avaient trouvé à admirer dans le roman de l’abbé de Pure (voyez tome II, p. 25, note 1, une citation de Thomas Corneille).

  1. Sont faits pour vous plaire ? Ce tour a été relevé un grand nombre de fois : voyez particulièrement au tome VI, p. 235, note 3.
  2. De cette union accompagnée de tendresse, de cette tendre union.
  3. Même mot au même sens dans le vers 66.
  4. Molière a fait du mot étage un même emploi figuré dans sa Préface du Tartuffe (tome IV, p. 383) : « C’est un haut étage de vertu que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme. »
  5. Se claquemurer, se renfermer étroitement. La formation de ce mot, que Furetière nomme un « terme populaire, » est à remarquer ; le rapport qu’ont entre eux ses deux éléments et, par suite, le vrai sens étymologique laissent du doute. À remarquer aussi son emploi avec à, au lieu de dans.
  6. Le genre n’était pas encore fixé. « Ceux qui faisaient idole masculin, dit Littré, obéissaient à l’étymologie (le mot est de terminaison neutre en grec et en latin) ; ceux qui le faisaient féminin obéissaient à la terminaison (française), qui est féminine. » Voyez une note de M. Marty-Laveaux, au tome II, p. 3 et 4 du Lexique de Corneille. La Fontaine avait aussi, en 1668, préféré le masculin (dans sa fable viii du livre IV).