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SA VIE, SON ŒUVRE

retrouve toutes mes sensations, visibles comme des marguerites sous l’herbe rare ; mais d’autres sensations viennent s’y joindre : « Semer céleri, cardons et choux de Milan ; étêter les premiers pois : rechausser les fèves semées en février ; œilletonner les artichauts. »

« Il n’entre aucune raillerie dans ce que je vous dis là, madame. Je ne plaisante jamais sur l’amour, non plus que sur les biens de lu terre. — Quant à ma nouvelle incarnation, je ne m’en fais pas un mérite. La gastronomie était en moi ; après avoir sommeillé pendantl quelque temps, elle se réveille — et elle éclate.

» J’ai changé de poésie, ou plutôt j’ai conquis un rythme de plus. Les splendeurs de la nutrition ont désormais en moi un nouveau barde. Incomplet autrefois, mon esprit s’est agrandi en même temps que mon estomac. J’aime la vie maintenant, en raison des moyens qui la prolongent. On ne saurait d’ailleurs trop honorer son corps ; et c’est rendre hommage à l’essence divine qui le compose, que l’entourer des soins les plus délicats. Machine merveilleuse, rien ne doit être négligé pour l’entretien de ses rouages. Un gourmet est un être agréable au ciel.

» Ah ! Émilie, je vous ai bien aimée ! — Mais j’aime bien maintenant les caisses d’ortolans et le vin de Château-Palmer !… »


Abrégeons cette explication un peu longue, mais qui s’imposait pour affirmer le talent culinaire de l’auteur, c’està dire, entendons-nous bien, sa sincérité, sa conviction, sa compétence écrite dans l’art de la cuisine — qui n’est pas à tout prendre uu art inférieur et qui a eu ses poètes.

Retirez les grands mots de gourmet et de gastronome, et aussi l’épithète de cuisinier, et vous aurez cette définition simple d’un Monselet — nouvelle manière : un esprit délicat s’attachant par leurs petits côtés aux choses de la table, et