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SA VIE, SON ŒUVRE

tion me poursuit saus cesse et partout. En outre, j’ai une manière de voir aussi absolue que naïve. Pour M. Jourdain, tout ce qui n’était pas des vers était de la prose, et tout ce qui n’était pas de la prose était des vers ; pour moi, tout ce qui n’est pas la campagne est la ville, et tout ce qui n’est pas la ville est la campagne.

» Ensuite, tout se ressemble à mes yeux. C’est-à-dire que, selon moi, il n’y a au monde qu’une forêt, qu’une prairie, qu’un fleuve, qu’une grande route, qu’une chaumière, qu’un buisson. Appelez cela Fontainebleau, Compiègne, les Ardennes. Cela est toujours la même chose. Qui me dira si c’est la Seine ou la Saône, ce cours d’eau qui baigne tant de coquettes maisons, tant d’îles touffues ? J’ai beau me déplacer, toujours le même ruban de queue se déroule devant moi, avec les mêmes buissons blancs de poussière, et les mêmes moutons conduits par le même chien. »


Simple paradoxe : Monselet est un observateur des plus attentifs et des plus scrupuleux ; jugez-en plutôt.


« … J’aime la diligence ; je la préfère au chemin de fer, parce qu’elle me met en communication plus intime avec le paysage, parce qu’elle me fait vivre un instant de la vie de ceux qui passent, et enfin parce qu’elle va plus vite.

» Plus vite, oui, vraiment ; c’est du moins ce qu’il me semble, à moi qui n’ai qu’une idée confuse des distances et qui crois avoir fait beaucoup de chemin quand les chevaux ont bien piaffïé, les roues bien sonné, les vitres bien tremblé, le postillon bien juré.

» Bien juré, postillon ! — Bien rugi, lion ! — Je l’entends encore, sur la route de Dinan à Saint-Brieuc, faisant claquer son fouet, dont la corde capricieuse et agile menaçait mon œil à chaque instant, car j’étais sur la banquette.

» Voici la chanson du postillon, telle que je l’ai notée pendant les relais : « Hue !… ktt, ktt, ktt, ktt…, hue, Péchard !…