Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/196

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oisif, né pour respirer des fleurs et applaudir aux pirouettes des demoiselles Noblet. Fille d’un Carabas richissime, elle vit sa dot prendre en peu de temps le grand chemin des coulisses de théâtre, des ateliers de joaillerie, des pavillons meublés, des soupers retentissants. Au nom de son mari, au sien, se mêlèrent des noms de courtisanes célèbres, d’actrices effrontées. Sa confusion fut grande, et, comme ses illusions n’existaient plus, elle n’hésita pas à provoquer une séparation ; elle se retira en province, où son contrat lui réservait la jouissance d’une portion encore considérable de biens.

Malgré sa frivolité et ses intrigues, le comte se sentit profondément blessé. Cette retraite altière et brusque, après un an de mariage seulement, devint en lui le principe d’une rancune qu’il ne se serait jamais cru capable d’éprouver. Il avait peu de sympathie pour sa femme, mais il aurait voulu qu’elle essayât de le ramener à elle ; il voyait, avec raison, beaucoup trop de promptitude et de roideur dans sa résolution ; aussi l’orgueilleuse leçon de son départ fut-elle perdue. Hors de son contrôle, il s’abandonna sans réserve à ses fantaisies, dont la moindre avait l’importance d’une fête princière ; il espérait, dans son dépit, que le bruit en irait poursuivre sa femme jusqu’au fond de ses charmilles solitaires.

À cette partie, le comte d’Ingrande perdit un peu de sa noblesse et beaucoup de sa fortune. Parlait-on de lui, ce n’était pas l’idée d’un grand seigneur qui s’éveillait aussitôt, mais celle d’un dandy. Or, la révolution de juillet, qui créa des dandys de toute classe, confondit à dessein le comte d’Ingrande avec ces nouveaux élus de la bourgeoisie et du commerce. Il en résulta qu’au bout de quelques temps et par une dégradation insensible de nuances, le gentilhomme, le dandy, finit par n’être plus simplement qu’un monsieur. Avec sa perspicacité exquise, il fut le premier à s’en apercevoir, mais il n’en souffrit pas autant qu’on pourrait le supposer : sa rancune conjugale trouvait son compte à cette transformation, qu’il outra lui-même dans plusieurs occasions, en laissant placer son nom à la tête d’entreprises industrielles et en faisant complaisamment figurer ses titres dans des conseils de surveillance, à côté des Galuchet et des Trousseminard du nouveau gouvernement.