Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/269

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Cet événement, tout simple qu’il fût, avait failli troubler à jamais les somnolentes soirées du petit salon violet. Ni le rentier orgueilleux, ni le contrôleur fluet, ni le gendarme silencieux n’avaient pu voir sans déplaisir un étranger se glisser ainsi dans leur compagnie. Il faut avoir vécu pendant des années dans une petite ville, sur le même fauteuil, pour comprendre le sentiment égoïste que nous constatons.

La première fois que Mme Baliveau annonça à nos joueurs de piquet que le jeune substitut viendrait quelquefois se mêler à leurs conversations du soir, cette nouvelle leur causa une sorte de stupéfaction.

Le contrôleur des contributions retint un : « Ah ! mon Dieu ! » comme si on lui eût appris une nouvelle invasion de Cosaques à Épernay. Oserait-il et pourrait-il conserver intacts tous ses privilèges en présence de ce nouveau venu ? Voilà ce que signifiait son exclamation.

Une nouvelle et suprême surprise était réservée à ces trois personnages ; c’était l’arrivée de la marquise de Pressigny ; mais Mme Baliveau n’avait pas cru devoir les prévenir de celle-là. Elle s’était contentée d’en informer vaguement son mari, comme on fait pour une ancienne amie de pension en voyage. Celui-ci avait offert d’improviser une réception convenable, mais elle avait décidé que rien ne serait changé au train ordinaire du logis, et qu’elle recevrait confidentiellement sa chère marquise.

Donc, un soir, le gendarme, le rentier et le contrôleur se réunirent à l’heure accoutumée. Une lampe en imitation de bronze, recouverte d’un abat-jour où cabriolaient des silhouettes diaboliques, décrivait un orbe lumineux sur le tapis de la table à jouer.

Mlle Anaïs Baliveau, en attendant le jeune substitut, qui avait la précaution de ne point se présenter avant huit heures, attisait innocemment ses minauderies incendiaires ; car elle entrait dans ses vingt-deux ans, et pour elle le miroir commençait à être plutôt un conseiller qu’un flatteur.

Mme Baliveau, plus parée que de coutume, suivait du regard la marche des aiguilles au cadran d’une pendule d’albâtre.

Son teint brillait d’un incarnat tel que le contrôleur fluet,