Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/28

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j’ai loué cette maison. Il n’eût pas été décent, avec notre nom et notre fortune, d’aller demeurer dans un de ces établissements de bains où tout le monde a le droit de vous saluer et de s’associer à vos habitudes. Cela vous eût cependant convenu, à vous, Amélie.

— Je n’ai pas dit cela, ma mère, prononça la jeune fille.

— Non, mais je connais votre caractère plein de curiosité ; j’ai surpris vos regards toujours portés au-delà du cercle où doit être renfermée votre existence. Les distractions que vous pouvez vous procurer en dehors du monde sont celles que vous préférez. Prenez-y garde : le monde est exclusif ; il vous veut toute entière ; il s’accommode mal des idées d’indépendance ; il ne voit dans les fantaisies qu’un terme honnête inventé pour déguiser les infractions à ses lois. N’est-il pas vrai, madame ?

Ces derniers mots avaient été adressés directement à la marquise de Pressigny qui, jusqu’alors, ne s’était pas mêlée à l’entretien.

La marquise de Pressigny était la sœur aînée de Mme d’Ingrande. Elle pouvait bien avoir cinquante ans. C’était une de ces heureuses physionomies où se trouvent réunies la bonté, l’esprit et la distinction. Il y avait plus de vingt ans qu’elle était veuve. Dans les hauts salons, où elle régnait sans rivale sur les premiers plans du royaume de la Tapisserie, elle contrastait vivement, par son aménité, avec sa sœur, dont la beauté altière ne faisait naître qu’un seul sentiment : l’admiration.

Mme la marquise de Pressigny avait été jadis au nombre des cinq ou six jeunes femmes qui ramenèrent, coûte que coûte, sous la Restauration, les traditions légères de la cour de Louis XVI ; aussi n’était-il pas rare d’entendre quelques ex-beaux s’entretenir d’elle avec un malicieux enthousiasme, dans une embrasure de fenêtre, tout en caressant sur leurs tempes des mèches grisonnantes, qui avaient été autrefois des boucles noires, et en tendant par habitude les restes d’un jarret pour lequel le pantalon était ce qu’est le port après le naufrage.

Cette réputation rose-tendre de la marquise avait souvent éveillé les froncements de sourcils de Mme d’Ingrande. Il en était résulté entre les deux sœurs un antagonisme sourd, une