Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

C’était donc pour conjurer ces périls qu’elle avait fait le voyage d’Épernay, qu’elle avait été au-devant de cette maladie, de cette ruine.

Une ruine se détourne.

Une maladie s’utilise.

Sur cette pente, Marianna ne s’arrête pas ; elle alla si loin, qu’elle atteignit l’invraisemblable vérité. Il fut évident pour elle que la marquise de Pressigny voulait faire de sa nièce une franc-maçonne, et que, pour cela, elle avait jeté les yeux sur Mme Baliveau. Marianna frémit, car elle ignorait que le hasard seul était l’auteur de cette combinaison. Elle crut que la marquise avait acheté la vie d’une femme, et elle chercha le moyen d’annuler ce marché épouvantable.

En conséquence, un soir, au sortir du salut, une vieille dame, dont les traits étaient comme ensevelis dans des coiffes noires, s’approcha de Mlle Anaïs Baliveau, au moment où celle-ci trempait ses doigts dans le bénitier, et lui dit à voix basse :

— Veillez sur votre mère, elle veut attenter à ses jours.

L’effroi rendit Anaïs immobile. Lorsqu’elle fut en état d’ouvrir la bouche, elle ne vit plus personne autour d’elle. Ce sinistre avertissement la trouva d’abord incrédule ; car, dans la pureté de sa conscience, elle ne pouvait admettre le suicide que comme un épouvantable et dernier refuge ouvert aux remords par le crime, et la vie de sa mère lui était trop bien connue pour laisser place à un seul soupçon. Anaïs s’appliqua néanmoins à l’observer avec une attention nouvelle, épiant ses démarches, commentant ses paroles ; et elle ne tarda pas à remarquer en elle un redoublement de tendresse qui lui causa d’indicibles transes. Un drame pénible se développa alors.

Mme Baliveau se montrait plus avide que jamais des caresses et du sourire de sa fille ; elle la serrait à chaque instant et à toute occasion dans ses bras, la regardait avec délices, passait des journées entières à l’initier aux choses du ménage, à lui donner des conseils ; et cela, avec un accent, des regards, une émotion qui ne s’étaient jamais produits chez elle à un degré semblable.