Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/362

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René Levasseur est né grand peintre. Rien ne l’a empêché de devenir grand peintre : ni les ladreries des marchands de tableaux, ni le jury, ni les événements conjurés. Une simple toile a suffi, un rayon de soleil a paru une demi-heure seulement derrière la vitre d’un trafiquant de la rue Laffite. Cette demi-heure écoulée, Levasseur était reconnu, adopté, classé parmi les maîtres. Voilà ce qu’il y a de beau et de magnifique dans les arts parisiens ! L’envie elle-même vous met une mitre sur le front.

Dès qu’il se vit sacré, René Levasseur, qui ne doutait pas de lui, mais qui doutait des autres, donna l’essor à ses hardiesses. Étant certain d’être aperçu, il se montra. Il exposa des miracles. Pauvre la veille, il se réveilla opulent ; on se disputa ses moindres ébauches. À peine exposés, ses tableaux étaient achetés à des prix fous ; le public n’avait que le temps de les apercevoir ; la critique, c’est-à-dire l’éloge, n’avait que le loisir de les enregistrer ; ensuite ils disparaissaient. Où allaient-ils ? Quelles galeries les possédaient ? Quels musées particuliers les livraient discrètement à l’enthousiasme des amateurs ? Personne ne le savait. L’acheteur était toujours un étranger, un négociant hollandais, un Brésilien ruisselant de milliards ou l’intendant d’un noble lord ; il ne marchandait pas, il couvrait d’or le chef-d’œuvre, mais avec cette condition jalouse, inévitable, qu’il ne serait pas reproduit par la gravure.

Pendant dix ans, Levasseur a souri à cette vogue, a caressé ce rêve éclos à l’ombre du palais des Beaux-Arts et de la Banque de France. Puis, un jour, il s’est réveillé en sursaut. L’inquiétude l’a gagné. Il a voulu savoir le sort de ses tableaux, rechercher leur trace dans le monde, en dresser le catalogue, se rendre compte enfin de son existence artistique. Il n’a trouvé que le néant. Les collections indiquées n’existaient pas, les cabinets avaient été dispersés. De même pour les particuliers : le négociant hollandais était aussi introuvable que la tulipe noire ; le Brésilien venait en ligne directe du pays des contes ; on avait abusé du grand nom du membre de la Chambre des communes. Frappé de ces circonstances, René Levasseur n’a plus voulu travailler que sur des commandes et pour le gouvernement.

Autres malheurs ! il a exécuté une œuvre destinée à orner