Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/416

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— À Charenton-Saint-Maurice, ajouta tristement le directeur.

M. Blanchard promena autour de lui des regards à la fois inquiets et curieux. Situé dans un des plus beaux paysages du monde, sur un coteau d’où la vue embrasse le parc de Vincennes et les îles de la Marne, l’hospice de Charenton élève ses innombrables arceaux qui rappellent les grands cloîtres italiens. Nous ne savons rien de plus majestueux que cet édifice, entièrement moderne du reste et d’une étendue à faire soupirer d’envie les phalanstériens. Cependant l’admiration s’apaise pour faire place à un autre sentiment dès qu’on se sait en présence de la Cité de la Folie ; la blancheur intense de ces murailles blesse les yeux, leur hauteur paraît affligeante, les grâces du paysage sont oubliées. Là vivent, comme entre parenthèses, cinq cents personnes environ, hommes et femmes, dont l’âme, à demi échappée du corps, n’y est retenue que par un dernier lien, semblable à un oiseau martyr. C’est une autre humanité à côté de l’humanité ; c’est le principe de vie triomphant dans ce qu’il y a de plus absurde et de plus énigmatique, et victorieusement installé sur les ruines de l’intelligence.

Du vieux Charenton, du Charenton des lettres de cachet et des détentions arbitraires, il ne reste que quelques bâtiments, un groupe de pavillons ardoisés sur le versant du coteau. Le nouveau Charenton, tout à fait en harmonie avec les besoins actuels, ne renferme pour ainsi dire que l’aristocratie de la démence ; on n’y reçoit que des fous assez riches pour payer leur pension, ou assez célèbres jadis pour que le gouvernement la leur paye : aussi est-ce milieu de bon goût, où les accords du piano se marient au bruit des pièces d’échecs et des cornets de trictrac, où les soins du jardinage alternent avec les travaux de broderie, où les rêves, bien qu’un peu biscornus, s’envolent méthodiquement dans les spirales bleuâtres du cigare.

Ces dernières années, si fécondes en chocs politiques, ont amené une recrudescence dans le nombre des aliénés. Nous ne parlons que de Charenton, car nous ne voulons pas entreprendre une statistique, rendue de jour en jour plus difficile par l’accroissement des maisons de santé. Cette concurrence