Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/427

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— Tous ces fous sont fort ingénieux, remarqua M. Blanchard.

— Ils n’ont que cela à faire, ajouta modestement le jeune homme aux cheveux noirs.

— C’est vrai ; mais j’en vois quelques-uns qui lisent ce qu’on appelle les grands journaux. Est-ce qu’on ne craint pas d’éveiller chez eux les susceptibilités politiques ?

— Oh ! non. D’abord, les fous politiques, proprement dits, sont classés dans une autre division, qu’ils occupent tout entière. Les fous de notre division, de la division n° 10, n’ont que de la curiosité et pas de passion. On leur permet de s’abandonner eux-mêmes, et pour leur compte, à toutes les feuilles périodiques. Quant à moi, mes ressources modiques m’interdisent une telle félicité.

Cette première journée ne parut à M. Blanchard ni longue ni ennuyeuse ; au contraire. La tournure de son esprit s’accommodait de ce milieu fantasque où se mouvait l’essaim des rêves personnifiés. Ne voulait-il pas d’ailleurs aller en Turquie ? N’avait-il pas précédemment exprimé le désir de visiter les pays où les femmes sont voilées et où les hommes sont armés ? Il devait être content, ce nous semble. Charenton lui donnait un avant-goût de Constantinople.

Au dîner, il se trouva placé, comme on l’en avait prévenu, entre le colonel et le personnage qu’on appelait le romancier. C’était un honneur de dîner à la table du directeur, et cet honneur était accordé à tour de rôle à ceux qui avaient su le mériter par une conduite et une docilité exemplaires. Ce jour-là, une trentaine de pensionnaires d’élites avaient été invités. Le directeur reconnut de loin M. Blanchard et lui fit un signe amical de la main.

Dès que M. Blanchard se fut assis, le romancier engagea la conversation et se pencha à son oreille ; voici ce qu’il lui dit :

— Par une belle matinée du mois de juin, un cavalier suivait lentement les bords de l’Escaut ; sa physionomie respirait un air de franchise et de valeur ; son panache ondoyait au gré du vent… »