Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/62

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Les époux Rupert tenaient une boutique de peintre colleur : mastic, vitres, pinceaux, essences.

Après avoir passé quelques temps à l’école des sœurs, Marianne, dès qu’elle fut un peu grande, se vit employée aux travaux de la maison : on lui fit balayer la cour, éplucher de la laine pour les matelas, récurer les chandeliers le samedi. En même temps, son père commença à devenir brutal envers elle. Et puis, il était venu d’autres enfants aux époux Rupert.

La veille du jour où Marianne devait faire sa première communion, son père lui appliqua un soufflet énorme. Il sortait d’un dîner et avait la tête échauffée. Le lendemain, elle alla à l’église avec une bosse au-dessus de l’œil. Sa belle-mère lui avait taillé un costume blanc dans une vieille robe de mariée ; elle lui avait donné, en outre, des gants de percale et des souliers puce. Néanmoins, la petite, qui ressemblait à un chien soiffé, se croyait naïvement la mieux de toutes.

Marianne, à douze ans, faisait déjà les gros savonnages, et elle se levait au point du jour afin d’aller rincer le linge à la fontaine. Elle aidait aussi à la cuisine. La haine de ses parents croissait en proportion des services qu’elle leur rendait. Elle tremblait de tous ses membres quand elle entendait la voix de son père. « Arrive donc ici ! lui criait-il, et regarde-moi cela ; c’est donc bien fait, cela, c’est donc bien essuyé ? pif ! paf !… »

Demandait-elle à manger, sa belle-mère lui répondait : « Ne faudrait-il pas te pendre un pain de six livres au cou ? Tu mangeras quand tu auras fini de travailler. » Et souvent le soir s’avançait qu’elle n’avait rien pris encore ; car la belle-mère tenait les provisions sous clef. Dans ce cas, la pauvre enfant s’avisait quelquefois d’un stratagème : comme on avait crédit chez les fournisseurs, elle prenait chez l’épicier une livre et demie de fromage au lieu d’une livre seulement qu’on l’y envoyait chercher, et elle mangeait en chemin, à la dérobée, la demi-livre de surplus. Souvent aussi elle se nourrissait de la graisse dans laquelle on faisait frire le poisson. Le pain qui tombait sous la table, elle le ramassait avec soin et le cachait dans ses poches, pour le dévorer le soir dans le grenier où elle se couchait sans chandelle. Ses vêtements ne lui tenaient pas sur le corps ; elle n’avait