Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/74

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suis pas un homme sensé, je suis un homme qui aime. La question ainsi posée, il semblerait qu’il n’y eût qu’un seul moyen de la vider ; pourtant ce n’est pas à ce moyen que j’aurai recours. Non, je n’aurai pas le mauvais goût et l’ineptie de demander une préférence aux chances d’une provocation. Il est inutile que, devant vous, je cherche à justifier ce côté de ma résolution : plusieurs rencontres sérieuses sauvegardent suffisamment à cet égard ma dignité.

Philippe Beyle, quoique étonné, s’inclina. Irénée poursuivit :

— Le but de ma visite est plus simple et en même temps plus conforme aux lois du véritable honneur : il consiste à vous demander si vous croyez aimer Marianna autant que je l’aime, et si vous êtes disposé à faire pour son avenir et pour son bonheur ce que je ferais, moi. Je sais que j’excite au plus haut point votre étonnement, mais je sais aussi que les démarches les plus étranges échappent au ridicule lorsqu’elles ont un but honnête, et qu’elles sont accomplies avec simplicité. Or, voici ce que je ferais pour Marianna, si Marianna m’était rendue : je romprais immédiatement le traité qui la lie à son exploiteur, quelque exorbitant que soit le dédit attaché à la rupture de ce traité ; je l’arracherais à une profession, qui offense autant la pudeur qu’elle dénature et émousse les sensations intimes ; enfin, et bien qu’il ne me soit plus permis maintenant de réaliser des projets de mariage que j’avais conçus il y a trois mois, je ne lui en consacrerais pas moins mon existence tout entière ; j’irais vivre avec elle à l’étranger, au sein d’un luxe qu’il m’est facile de lui donner, et dans l’oubli d’un passé, pour lequel le ciel, moins inflexible que le monde, a réservé des trésors d’indulgence. Je ferais cela, monsieur, et je croirais encore ne pas faire assez, car j’aime Marianna presque autant que l’honneur. En venant ici, et en cherchant à dégager mes paroles de toute solennité, j’ai espéré, je l’avoue, que vous placeriez dans votre conscience votre amour et le mien, et que vous les pèseriez tous les deux. Nous appartenons à la même génération, au même milieu social, il ne peut y avoir aucun motif de haine entre nous. Examinez donc ma demande avec sang-froid et répondez-y avec probité ; sachez si