Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/85

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dois vous en remercier, bien que je n’aie guère de motifs de tenir à la vie, mais parce que vous avez fait entrer en moi une affection nouvelle et respectueuse.

Elle ne prolongea pas sa visite au-delà de quelques minutes ; après s’être levée, elle s’adressa encore à Amélie :

— Mademoiselle, j’ai toutes les superstitions d’une enfant du peuple : et, si petite que soit la place que je doive occuper dans votre souvenir, si grande que soit la distance qui nous séparera toujours, je croirais ne pas vous avoir exprimé ma gratitude si je ne vous en laissais un témoignage.

— Un témoignage ? murmura la comtesse d’Ingrande.

— Oh ! madame, dit vivement Marianna, vous ramasseriez bien un coquillage sur le bord de la mer, vous permettrez bien à votre fille de recevoir ce joyau, qui ne vaut quelque chose que par son origine.

Et elle présenta humblement à Amélie une petite cassolette d’un travail très simple, en effet, mais exquis. Amélie la prit, après avoir consulté de l’œil sa mère, dont elle considéra le silence comme une permission.

— Quelle est donc l’origine de cet objet ? demanda la marquise de Pressigny, s’emparant de la parole pour la première fois.

— C’est un des princes de l’art, c’est Rossini qui me l’a donné cet été, après une représentation de la Semiramide, où on l’avait entraîné presque par force.

La même commotion se produisit à la fois chez la comtesse et chez la marquise.

— Ce qui rehaussait ce don dans l’esprit du maestro, continua Marianna, et ce qui le rendait doublement précieux, c’est que cette cassolette avait précédemment appartenu à la Malibran.

— Ma fille ne connaît pas la Malibran, madame, dit la comtesse d’Ingrande.

Marianna rougit légèrement. Elle se tourna vers Amélie.

— La Malibran, lui dit-elle avec un accent triste, était une de ces pauvres femmes dont le ciel fait l’âme visible comme la lumière d’une lampe, et qui n’ont de génie qu’à la condition