Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/89

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Ces dix tchankas avaient tous le même costume, celui de la tradition, sans distinction de sexe, c’est-à-dire un béret sur la tête, un manteau de laine retenu aux épaules par-dessus un pourpoint boutonné, les pieds nus et les jambes enveloppées d’un camano ou fourrure, fixé par des jarretières rouges. Leurs échasses les élevaient de cinq à six pieds de terre. Une perche leur servait de troisième point d’appui. Vus à une certaine distance, ils ressemblaient à de gigantesques sauterelles. Mais ce moment leur côté poétique était singulièrement amoindri par cet entourage d’habits noirs et de capotes roses ; c’est dans la lande rase qu’il faut voir le tchanka, immobile et dressé comme un triangle solitaire, à l’heure où le soleil s’enfonce dans les bruyères ensanglantées de l’horizon ; ou bien encore lorsque, adossé contre un pin, il tricote silencieusement des bas, en gardant un troupeau de moutons maigres et noirs.

Sévères, muets, au milieu de la foule qui les examinait avec curiosité, leur pensée était concentrée uniquement sur le gain qu’ils allaient se disputer, gain bien modique cependant, puisqu’il ne s’agissait que d’une récompense de vingt francs pour le vainqueur. Mais vingt francs aux yeux d’un tchanka représentent une fortune !

Bientôt, au signal donné par le président de la fête, ils se répandirent tous les dix sur la plage, en poussant des hurlements. Sauf ces enjambées immenses dont il est impossible de rendre l’image, on aurait cru assister à une fantasia arabe. C’étaient les mêmes évolutions accomplies avec la même rapidité, ou plutôt avec le même vertige, dans des conditions qui frisaient l’impossible, et dans un sol où chaque échasse en s’enfonçant creusait un trou d’un pied environ. Leurs manteaux soulevés par le vent, comme ceux des cavaliers arabes, ils couraient et pivotaient sur eux-mêmes, aussi lestement que s’ils avaient été à pied. Les femmes ne le cédaient en rien aux hommes : une d’elles arriva la seconde au but indiqué ; on les distinguait à leurs cris plus aigus. Pour terminer et couronner la course, une clôture de vingt pieds de large fut franchie par les dix tchankas, aux applaudissements unanimes.