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CUBIÈRES.

Muses, et généralement tous les cahiers quelconques où il était permis de venir brûler de l’encens sur l’autel d’Apollon.

Au milieu de ses triomphes, Cubières-Palmézeaux fut troublé par une lettre qui lui fut remise un soir de 1780 : au cachet, il reconnut son maître Dorat ; — mais l’écriture était informe, tremblée, presque illisible : c’étaient des vers. Le chevalier sentit un froid pressentiment lui traverser le cœur.

Voici ce qu’il déchiffra :

Je touche à mes derniers instants ;
L’ardente sève de la vie
Ne circule plus dans mes sens ;
Hélas ! sans douce rêverie
Je vois renaître le printemps.

Cubières s’étonna. Était-ce bien Dorat qui parlait ainsi, l’amant gâté des comédiennes de l’Opéra et des comédiennes du monde ? Ses derniers instants ?…

Cubières poursuivit sa lecture. Je ne citerai pas tout au long cette pièce douloureuse de l’auteur des Sacrifices de l’Amour, médiocre pièce après tout, échappée à une main déjà glacée et où se rencontrent des vers sans rime. Dorat y repasse sa vie et parle avec amertume de l’affreuse carrière des lettres.

Excepté les moments consacrés au plaisir,
Que j’en ai perdus dans ma vie !

Je sens plus que jamais que vivre c’est jouir.
Devais-je n’adopter cette philosophie
Qu’à l’instant où je vais mourir !