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OUBLIÉS ET DEDAIGNÉS.

du dix-huitième siècle, cette particule d’emprunt : elle était pour eux presque une nécessité, elle les mettait en cour, elle leur épargnait les humiliations des gentilshommes imbéciles. Aujourd’hui, il y aurait faiblesse pour les hommes de lettres à perpétuer cette usurpation que n’autorise plus la composition de notre société.

Linguet fit à Paris des études excessivement brillantes, et, par son aptitude autant que par le sérieux de son esprit, il parut promettre de continuer cette race de studieux Rémois qui a donné à la France Robert de Sorbonne, Gerson, Mabillon, un contingent énorme de bénédictins. Sa jeunesse fut remplie de hasards heureux propres à développer sa pensée ; je ne parle pas de son cœur (rien n’indique que Linguet ait beaucoup vécu par là). À la suite d’un grand seigneur, le duc de Deux-Ponts, qui l’avait emmené en qualité de secrétaire, il parcourut la moitié de l’Europe et augmenta de la sorte, dans les conditions les plus agréables, ses connaissances déjà nombreuses et vastes.

On a dit que les voyages entrepris de trop bonne heure par les Français détruisaient ou du moins diminuaient en eux le caractère, l’esprit national ; cela est généralement faux. S’ils ont à un degré moindre que les autres peuples ce qu’on nomme mal du pays, c’est parce que, dans leur entrain perpétuel, ils s’attachent à franciser tout ce qui les entoure. Ils emportent véritablement la patrie à la semelle de leurs souliers, et ils la rapportent non moins fidèlement.

Secrétaire du duc de Deux-Ponts ou aide de camp du prince de Beauvau, Linguet visita successive-