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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

Je fus amoureux de tout le monde, comme un vrai amoureux de vingt ans ; je connus les passions et la passion. Mais ce que je ne connus jamais que très-imparfaitement, c’est l’argent. J’étais un cadet de famille, et je n’avais autre chose à dépenser que mes vingt-quatre heures par jour : aussi, étais-je vêtu un peu à la légère. En revanche, je possédais largement le luxe de la bonne mine et de la santé, et ce luxe-là je l’affichais en superbe. Les femmes de la cour me recherchaient ; moi, je recherchais les bourgeoises : un ermite passerait sa journée à égrener le chapelet de mes bonnes fortunes sous la régence.

Par conséquent, il ne faut pas me demander comment, d’alcôve en alcôve, j’arrivai à cette dépravation qui était alors générale. Je recevais l’exemple de haut, et j’acceptais comme un vernis ce qui était une gangrène. Ma première jeunesse, et ma seconde aussi, s’écoulèrent en mille épisodes, que l’indulgence du temps qualifia d’espiègleries, mais qui n’en sont pas moins de bons et gros scandales. Il vous en est revenu plusieurs aux oreilles, sans doute, et parmi ceux-là certaine anecdote avec la femme d’un marchand de la place Maubert, petite brune à qui j’avais tourné la tête, et qui se sauva un jour du domicile conjugal en emportant argenterie et bijoux.

Le mari jeta feu et flammes, il parla de procédure ; mais, en ce temps-là, qu’est-ce qu’eût pesé un mari dans la balance de la justice ? Le brave homme finit par entendre raison, — et, un soir, il se pendit mélancoliquement dans sa cave.

On a dû vous parler aussi de la fille d’un conseiller au parlement ; cette charmante et très-spirituelle