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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

je me sentais vivre, détestant et détesté, salué bas, ayant mon couvert mis tous les jours chez les gens qui m’accueillaient avec effroi, connu de tout Paris, au point que, lorsqu’un étranger demandait à voir quelque chose ou quelqu’un de curieux, on lui disait : « Avez-vous vu le chevalier de La Morlière ? » Puis on le menait au café Procope, ou au café de la Régence, ou dans la grande allée du Palais-Royal, ou, plus sûrement encore, au parterre de la Comédie. C’était là que je brillais dans ma gloire, c’était là que j’apparaissais menaçant comme Jupiter, et comme lui armé de la foudre !

Ma réputation (une réputation exceptionnelle et teinte de sombres couleurs) fut portée au comble, vers ce temps-là, par mes dissensions avec mademoiselle Claire-Joséphine-Hippolyte Leyris de Latude Clairon, actrice de la Comédie française, tragédienne au théâtre et à la ville.

L’histoire de ces dissensions forme un chapitre qui eût été digne de figurer dans quelqu’un des joyeux romans signés Le Sage.

VII

FRÉTILLON

Vous n’ignorez point, monsieur, que Frétillon était le surnom de la grande tragédienne. Ce surnom, par lequel elle était européennement connue, elle le devait à la rancune d’un de ses anciens camarades de coulisse, au comédien Gaillard de la Bataille, avec qui elle avait couru la province dans sa jeunesse. Gaillard de la Bataille l’avait aimée à la folie, et elle