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OUBLIÉS ET DEDAIGNÉS.

ter ses mémoires. Il fut forcé de proportionner son train à sa renommée ; il eut un carrosse, des valets ; il tint maison à la ville et maison à la campagne. Ce fut le pinacle. On le présenta à la cour, et l’on grava son portrait, orné de tous les attributs qui caractérisent le mérite triomphant des obstacles.

Il paraît qu’en ces circonstances la fumée lui monta à la tête, car il ambitionna, dit-on, de se faire recevoir à l’Académie française. Soit que la fierté ou la méfiance ne lui permît pas de solliciter directement le fauteuil, soit que ce fût réellement à son insu que se firent les démarches, toujours est-il que son jeune frère se rendit un matin chez d’Alembert, le dispensateur suprême des brevets d’immortalité. D’Alembert répondit au petit frère que sa visite était infructueuse, « parce que M. Linguet s’était fait une infinité d’ennemis, et qu’il avait, même au sein de l’Académie française, un parti furieux contre lui. »

Linguet bondit en apprenant cette réponse. Il commença par désavouer son frère, et il adressa à l’imprudent géomètre une apostrophe, dont je détache quelques passages très-saillants :

« Si la différence des systèmes engendre des haines ; si des hommes qui réclament à grands cris la tolérance en faveur de leurs apophthegmes, éclatent avec fureur au moment où l’on ose faire mine de les discuter ; s’ils regardent comme un ennemi dangereux, s’ils tâchent de livrer à une excommunication flétrissante l’homme qui vit seul, qui met au jour ce qu’il croit vrai, sans entêtement, sans intérêt, sans politique d’aucune espèce, et qui n’a d’autre crime que de ne vouloir entrer pour rien dans leurs con-