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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

qui n’était pas précisément jolie, mais qui avait pour elle un grand air de bonté, faisait rentrer en moi mille sensations anciennes et perdues. J’avais tellement vécu en dehors des sentiments simples, mon cœur et mon esprit appartenaient si peu aux mœurs familières, que je me vis à mon tour embarrassé et comme honteux. — Lorsque Denise se jeta sur ma main pour la baiser, je la retirai avec promptitude.

Hélas ! j’avais fait si peu de bien dans ma vie qu’un mouvement de reconnaissance élancé vers moi me froissait à l’égal d’une injure !

J’installai sur l’heure Denise dans ses nouvelles fonctions : je lui confiai la garde de mon linge et le soin de mon humble mobilier.

Est-il utile de dire que je n’étais guère plus riche en 1766 qu’en 1720, et que mon crédit, comme chef de cabale, ayant été fortement ébranlé par les intrigues de la Clairon, j’en étais réduit, pour subsister, aux seules ressources littéraires ? On sait quelle ironie cachent en tous temps ces deux mots. Ah ! monsieur, puissiez-vous n’être jamais forcé, sur vos vieux jours, de recourir au gagne-pain de la littérature !

Le temps des maréchales était passé, car ma tête était devenue grise. — Pour me remettre en cour, j’avisai de composer un roman intitulé le Fatalisme, et de le dédier à madame la comtesse Du Barry. C’était le premier hommage de ce genre qu’elle recevait ; tout le monde me jeta la pierre pour avoir, dans ma dédicace, célébré ses talents et ses vertus. J’avoue aujourd’hui que c’était pousser la flatterie un peu loin ; mais en fait de dédicace on ne doit pas y regarder de trop près ; Corneille lui-même ne nous