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LA MORENCY.

Je suis obligé de sauter bien des feuillets de cette histoire cavalière ; — je tâche cependant de conserver les traits qui caractérisent le mieux un homme ou une époque. Hérault de Séchelles, qui avait de l’influence, fit de la Morency une buraliste de loterie ; il lui donna en outre un délicieux petit pavillon couvert en ardoises[1] et situé à Chaillot, près de Sainte-Périne, dans lequel il s’attacha à ressusciter les mœurs et les plaisirs des petites maisons, aidé de son ami d’Espagnac. Mais au milieu de toutes ces folies, Hérault était souvent triste, agité ; dans ses moments d’abandon, il répétait : « De sinistres pressentiments me menacent ; je veux me hâter de vivre… et, lorsqu’ils m’arracheront la vie, ils croiront tuer un homme de trente-deux ans… j’en aurai quatre-vingts ! car je veux vivre en un jour pour dix années… »

C’est en parlant de ces moments d’ivresse que la Morency écrivait six ans plus tard : « Le bonheur était filtré à travers les craintes. » Du reste, les alarmes de Séchelles n’étaient pas sans motif ; un soir, à souper, un de ses amis lui demanda : « Hérault, êtes-vous bien avec Robespierre ? » Il pâlit à cette question et ne répondit rien. Peut-être était-ce un avertissement, car déjà, la veille, d’Espagnac avait été conduit à l’Abbaye. Le reste du souper ne fut pas gai, et Hérault de Séchelles se retira de bonne heure, en prétextant un rapport à faire pour le lendemain.

  1. Ce pavillon, nommé l’Amitié, avait été bâti pour une amie de l’abbesse de Sainte-Périne. Il y avait deux entrées : une par la communauté, et l’autre par le jardin d’un vieux marquis, dont le mur était mitoyen.