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MERCIER.

nante. Il a fallu que mon pinceau fût fidèle. Il enflammera peut-être d’un zèle nouveau les administrateurs modernes, et déterminera la généreuse compassion de quelques âmes actives et sublimes. Je n’ai jamais écrit une ligne que dans cette douce persuasion, et, si elle m’abandonnait, je n’écrirais plus. » Sans doute ce but était très-louable, et cependant la police crut devoir s’en inquiéter après l’apparition des deux premiers volumes. Informé que plusieurs personnes étaient soupçonnées pour cet ouvrage et sur le point d’être poursuivies, Mercier alla trouver M. Lenoir et lui dit fièrement : « Ne cherchez plus l’auteur, c’est moi ! » Il partit alors pour la Suisse, où il se lia d’amitié avec le célèbre Lavater, qui se vanta (peut-être était-ce une douce raillerie) d’avoir deviné l’auteur du Tableau de Paris sur le seul examen de ses traits.

Mercier choisit Neufchâtel pour résidence, et y acheva cette originale encyclopédie, dont le nombre des volumes s’accrut bientôt jusqu’à douze. La publication n’en fut terminée qu’en 1788, un an avant l’explosion de la Révolution. Elle se répandit à une très-grande quantité d’exemplaires et fut infiniment goûtée hors de France. C’est inouï ce qu’il y a de verve, d’ampleur, de variété, de savoir et d’esprit au fond de tout cela. Le dix-huitième siècle, qui, à l’heure où parut le Tableau de Paris, avait déjà sa provision de chefs-d’œuvre toute faite, s’entêta à repousser celui-ci[1].

  1. Citons : « Une émeute, à Paris, qui dégénérerait en sédition, est devenue moralement impossible. La surveillance de la police, les régiments des gardes suisses et françaises casernes et tout prêts à marcher, les maréchaussées répandues de toutes parts,