Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


vertu reluisent en son parler, et n’ayent que la raison pour guide. Qu’on luy face entendre que de confesser la faute qu’il descouvrira en son propre discours, encore qu’elle ne soit aperceue que par luy, c’est un effet de jugement et de sincerité, qui sont les principales parties qu’il cherche ; que l’opiniatrer et contester sont qualitez communes, plus apparentes aux plus basses ames ; que se raviser et se corriger, abandonner un mauvais party sur le cours de son ardeur, ce sont qualitez rares, fortes et philosophiques. On l’advertira, estant en compaignie, d’avoir les yeux par tout ; car je trouve que les premiers sieges sont communément saisis par les hommes moins capables, et que les grandeurs de fortune ne se trouvent guieres meslées à la suffisance. J’ay veu, cependant qu’on s’entretenoit, au haut bout d’une table, de la beauté d’une tapisserie ou du goust de la malvoisie, se perdre beaucoup de beaux traicts à l’autre bout. Il sondera la portée d’un chacun : un bouvier, un masson, un passant ; il faut tout mettre en besongne, et emprunter chacun selon sa marchandise, car tout sert en mesnage ; la sottise mesmes et foiblesse d’autruy luy sera instruction. A contreroller les graces et façons d’un chacun, il s’engendrera envie des bonnes, et mespris des mauvaises. Qu’on luy mette en fantasie une honeste curiosité de s’enquerir de toutes choses ; tout ce qu’il y aura de singulier autour de luy, il le verra : un bastiment, une fontaine, un homme, le lieu d’une bataille ancienne, le passage de Caesar ou de Charlemaigne ;

Quae tellus sit lenta gelu, quae putris ab aestu,
Ventus in Italiam quis bene vela ferat.

Il s’enquerra des meurs, des moyens et des alliances de ce Prince, et de celuy-là ; Ce sont choses tres-plaisantes à apprendre et tres-utiles à sçavoir. En cette practique des hommes, j’entends y comprendre, et principalement, ceux qui ne vivent qu’en la memoire des livres. Il practiquera, par le moyen des histoires, ces grandes ames des meilleurs siecles. C’est un vain estude, qui veut ; mais qui veut aussi, c’est un estude de fruit inestimable : et le seul estude, comme dit Platon, que les Lacedemoniens eussent reservé à leur part. Quel profit ne fera-il en cette part-là, a la lecture des vies de nostre Plutarque ? Mais que mon guide se souviene où vise sa