Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/129

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affeté, se presenta avec un beau discours premedité sur le subject de cette besongne, et tiroit le jugement du peuple à sa faveur. Mais l’autre, en trois mots : Seigneurs Atheniens, ce que cetuy a dict, je le feray.

Au fort de l’eloquence de Cicero, plusieurs en entroient en admiration ; mais Caton, n’en faisant que rire : Nous avons, disoit-il, un plaisant consul. Aille devant ou apres, un’utile sentence, un beau traict est toujours de saison. S’il n’est pas bien à ce qui va devant, ny à ce qui vient apres, il est bien en soy. Je ne suis pas de ceux qui pensent la bonne rithme faire le bon poeme : laissez luy allonger une courte syllabe, s’il veut ; pour cela, non force ; si les inventions y rient, si l’esprit et le jugement y ont bien faict leur office, voylà un bon poete, diray-je, mais un mauvais versificateur,

Emunctae naris, durus componere versus.

Qu’on face, dict Horace, perdre à son ouvrage toutes ses coustures et mesures,

Tempora certa modosque, et quod prius ordine verbum est,
Posterius facias, praeponens ultima primis,
Invenias etiam disjecti membra poetae,

il ne se démentira point pour cela ; les pieces mesmes en seront belles. C’est ce que respondit Menander, comme on le tensat, approchant le jour auquel il avoit promis une comedie, dequoy il n’y avoit encore mis la main : Elle est composée et preste, il ne reste qu’à adjouster les vers. Ayant les choses et la matiere disposée en l’ame, il mettoit en peu de compte le demeurant. Depuis que Ronsard et du Bellay ont donné credit à nostre poésie Françoise, je ne vois si petit apprentis qui n’enfle des mots, qui ne renge les cadences à peu prés comme eux. Plus sonat quam valet. Pour le vulgaire, il ne fut jamais tant de poetes. Mais, comme il leur a esté bien aisé de representer leurs rithmes, ils demeurent bien aussi court à imiter les riches descriptions de l’un et les delicates