Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/140

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poursuivre sa pointe, ces articles là qu’ils choisissent pour les plus legiers, sont aucunefois tres-importans. Ou il faut se submettre du tout à l’authorité de nostre police ecclesiastique, ou du tout s’en dispenser. Ce n’est pas à nous à establir la part que nous luy devons d’obeïssance. Et davantage, je le puis dire pour l’avoir essayé, ayant autrefois usé de cette liberté de mon chois et triage particulier, mettant à nonchaloir certains points de l’observance de nostre Église, qui semblent avoir un visage ou plus vain ou plus estrange, venant à en communiquer aux hommes sçavans, j’ay trouvé que ces choses là ont un fondement massif et tres-solide et que ce n’est que bestise et ignorance qui nous fait les recevoir avec moindre reverence que le reste. Que ne nous souvient il combien nous sentons de contradiction en nostre jugement mesmes ? combien de choses nous servoyent hier d’articles de foy, qui nous sont fables aujourd’huy ? La gloire et la curiosité sont les deux fleaux de nostre ame. Cette cy nous conduit à mettre le nez par tout, et celle là nous defant de rien laisser irresolu et indecis.

De l’Amitié.
Chap. XXVIII.


COnsidérant la conduite de la besongne d’un peintre que j’ay, il m’a pris envie de l’ensuivre. Il choisit le plus bel endroit et milieu de chaque paroy, pour y loger un tableau élabouré de toute sa suffisance ; et, le vuide tout au tour, il le remplit de crotesques, qui sont peintures fantasques, n’ayant grace qu’en la varieté et estrangeté. Que sont-ce icy aussi, à la verité, que crotesques et corps monstrueux, rappiecez de divers membres, sans certaine figure, n’ayants ordre, suite ny proportion que fortuite ?

Desinit in piscem mulier formosa superne.