Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/168

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complot fait entre eux, ne trouvent aucune voye à la guerison, ny remede aux maladies du corps et de l’ame, que par le tourment, la douleur et la peine. Les veilles, les jeusnes, les haires, les exils lointains et solitaires, les prisons perpetuelles, les verges et autres afflictions ont esté introduites pour cela ; mais en telle condition que ce soyent veritablement afflictions et qu’il y ait de l’aigreur poignante ; et qu’il n’en advienne point comme à un Gallio, lequel ayant esté envoyé en exil en l’isle de Lesbos, on fut adverty à Romme qu’il s’y donnoit du bon temps, et que ce qu’on luy avoit enjoint pour peine, luy tournoit à commodité : parquoy ils se raviserent de le rappeler pres de sa femme et en sa maison, et luy ordonnerent de s’y tenir, pour accommoder leur punition à son ressentiment.

Car à qui le jeusne aiguiseroit la santé et l’alegresse, à qui le poisson seroit plus appetissant que la chair, ce ne seroit plus recepte salutaire ; non plus qu’en l’autre medecine les drogues n’ont point d’effect à l’endroit de celuy qui les prend avec appetit et plaisir. L’amertume et la difficulté sont circonstances servants à leur operation. Le naturel qui accepteroit la rubarbe comme familiere, en corromproit l’usage : il faut que ce soit chose qui blesse nostre estomac pour le guerir ; et icy faut la regle commune, que les choses se guerissent par leurs contraires, car le mal y guerit le mal. Cette impression se raporte aucunement à cette autre si ancienne, de penser gratifier au Ciel et à la nature par nostre massacre et homicide, qui fut universellement embrassée en toutes religions. Encore du temps de noz peres, Amurat, en la prinse de l’Isthme, immola six cens jeunes hommes grecs à l’ame de son pere, afin que ce sang servist de propitiation à l’expiation des pechez du trespassé. Et en ces nouvelles terres, descouvertes en nostre aage, pures encore et vierges au pris des nostres, l’usage en est aucunement receu par tout : toutes leurs Idoles s’abreuvent de sang humain, non sans divers exemples d’horrible cruauté. On les brule vifs, et, demy rotis, on les retire du brasier pour leur arracher le cœur et les entrailles. A d’autres, voire aux femmes, on les escorche