Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/203

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Nulles nouvelles. Il y mourra, ou il apprendra à la posterité la mesure des vers de Plaute et la vraye orthographe d’un mot Latin. Qui ne contre-change volontiers la santé, le repos et la vie à la reputation et à la gloire, la plus inutile, vaine et fauce monnoye qui soit en nostre usage ? Nostre mort ne nous faisoit pas assez de peur, chargeons nous encores de celle de nos femmes, de nos enfans et de nos gens. Nos affaires ne nous donnoyent pas assez de peine, prenons encores à nous tourmenter et rompre la teste de ceux de nos voisins et amis.

Vah’ quemquamne hominem in animum instituere, aut
Parare, quod sit charius quam ipse est sibi ?

La solitude me semble avoir plus d’apparence et de raison à ceux qui ont donné au monde leur age plus actif et fleurissant, suivant l’exemple de Thales. C’est assez vescu pour autruy, vivons pour nous au moins ce bout de vie. Ramenons à nous et à nostre aise nos pensées et nos intentions. Ce n’est pas une legiere partie que de faire seurement sa retraicte ; elle nous empesche assez sans y mesler d’autres entreprinses. Puis que Dieu nous donne loisir de disposer de nostre deslogement, preparons nous y ; plions bagage ; prenons de bon’heure congé de la compaignie ; despetrons nous de ces violentes prinses qui nous engagent ailleurs et esloignent de nous. Il faut desnouer ces obligations si fortes, et meshuy aymer ce-cy et cela, mais n’espouser rien que soy. C’est à dire : le reste soit à nous, mais non pas joint et colé en façon qu’on ne le puisse desprendre sans nous escorcher et arracher ensemble quelque piece du nostre. La plus grande chose du monde, c’est de sçavoir estre à soy. Il est temps de nous desnouer de la societé, puis que nous n’y pouvons rien apporter. Et, qui ne peut prester, qu’il se defende d’emprunter. Noz forces nous faillent ; retirons les et resserrons en nous. Qui peut renverser et confondre en soy les offices de l’amitié et de la compagnie, qu’il le face. En cette cheute, qui le rend inutile, poisant et importun aux autres, qu’il se garde d’estre importun à soy mesme, et poisant, et inutile. Qu’il se flatte et caresse, et surtout se regente ; respectant et craignant sa raison et sa conscience, si qu’il ne puisse sans honte broncher en leur presence. Rarum est enim ut satis se quisque vereatur. Socrates dict que les jeunes se doivent faire instruire, les hommes s’exercer à bien faire, les vieils se retirer de toute occupation civile et militaire, vivants à leur discretion, sans obligation à nul certain office. Il y a des complexions plus propres à ces preceptes de la retraite les unes que les autres. Celles qui ont l’apprehension molle et làche, et un’ affection et volonté delicate, et qui ne s’asservit ny s’employe pas aysément, desquels je suis et par naturelle condition et par discours, ils se plieront mieux à ce conseil que les ames actives et occupées qui embrassent tout et s’engagent par tout, qui se passionnent de