Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/219

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chausses. En Thrace le Roy estoit distingué de son peuple d’une plaisante manière, et bien r’encherie. Il avoit une religion à part, un Dieu tout à luy qu’il n’appartenoit à ses subjects d’adorer : c’estoit Mercure ; et luy dédaignoit les leurs, Mars, Bacchus, Diane. Ce ne sont pourtant que peintures, qui ne font aucune dissemblance essentielle. Car, comme les joueurs de comedie, vous les voyez sur l’eschaffaut faire une mine de Duc et d’Empereur ; mais, tantost apres, les voylà devenuz valets et crocheteurs miserables, qui est leur nayfve et originelle condition : aussi l’Empereur, duquel la pompe vous esblouit en public,

Scilicet et grandes viridi cum luce smaragdi
Auro includuntur, teriturque Thalassima vestis
Assiduè, et Veneris sudorem exercita potat,

voyez le derriere le rideau, ce n’est rien qu’un homme commun, et, à l’adventure, plus vil que le moindre de ses subjects. Ille beatus introrsum est. Istius bracteata felicitas est. La couardise, l’irresolution, l’ambition, le despit et l’envie l’agitent comme un autre :

Non enim gazae neque consularis
Summovet lictor miseros tumultus
Mentis et curas laqueata circum
Tecta volantes ;

et le soing et la crainte le tiennent à la gorge au milieu de ses armées,

Re veràque metus hominum, curaeque sequaces,
Nec metuunt sonitus armorum, nec fera tela ;
Audactérque inter reges, rerumque potentes
Versantur, neque fulgorem reverentur ab auro.

La fiebvre, la migraine et la goutte l’espargnent elles non plus que nous ? Quand la vieillesse luy sera sur les espaules, les archiers de sa garde l’en deschargeront ils ? Quand la frayeur de la mort le transira, se r’asseurera il par l’assistance des gentils-hommes de sa chambre ? Quand il sera en jalousie et caprice, nos bonnettades le remettront elles ? Ce ciel de lict tout enflé d’or et de perles, n’a aucune vertu à rappaiser les tranchées d’une verte colique :

Nec calidae citius decedunt corpore febres,
Textilibus si in picturis ostroque rubenti