Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/242

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faire le gast, ce qui ne se peut faire bonnement en nos biens propres, et si le païsant ne porte pas si doucement ce ravage de ceux de son party que de l’ennemy, en maniere qu’il s’en peut aysément allumer des seditions et des troubles parmy nous ; que la licence de desrober et de piller, qui ne peut estre permise en son pays, est un grand support aux ennuis de la guerre, et, qui n’a autre esperance de gaing que sa solde, il est mal aisé qu’il soit tenu en office, estant à deux pas de sa femme et de sa retraicte ; que celuy qui met la nappe, tombe tousjours des despens ; qu’il y a plus d’allegresse à assaillir qu’à deffendre ; et que la secousse de la perte d’une bataille dans nos entrailles est si violente qu’il est malaisé qu’elle ne crolle tout le corps, attendu qu’il n’est passion contagieuse comme celle de la peur, ny qui se preigne si ayséement à credit, et qui s’espande plus brusquement ; et que les villes qui auront ouy l’esclat de cette tempeste à leurs portes, qui auront recueilly leurs Capitaines et soldats tremblans encore et hors d’haleine, il est dangereux, sur la chaude, qu’ils ne se jettent à quelque mauvais party : si est-ce qu’il choisit de r’appeller les forces qu’il avoit delà les monts, et de voir venir l’ennemy : car il peut imaginer au contraire, qu’estant chez luy et entre ses amis, il ne pouvoit faillir d’avoir planté de toutes commoditez : les rivieres, les passages, à sa devotion, luy conduiroient et vivres et deniers en toute seureté et sans besoing d’escorte ; qu’il auroit ses subjects d’autant plus affectionnez, qu’ils auroient le dangier plus pres ; qu’ayant tant de villes et de barrieres pour sa seureté, ce seroit à luy de donner loy au combat selon son opportunité et advantage ; et, s’il luy plaisoit de temporiser, qu’à l’abry et à son aise il pourroit voir morfondre son ennemy, et se défaire soy mesmes par les difficultez qui le combatroyent, engagé en une terre contraire, où il n’auroit devant, ny derriere luy, ny à costé, rien qui ne luy fit guerre, nul moyen de