Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/264

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est au contraire ; et la meilleure condition qu’ils ayent, c’est d’estre exempts de senteur. La douceur mesmes des halaines plus pures n’a rien de plus excellent que d’estre sans aucune odeur qui nous offence, comme sont celles des enfans bien sains. Voylà pourquoy, dict Plaute,

Mulier tum benè olet,

ubi nihil olet : la plus parfaicte senteur d’une femme c’est ne sentir à rien, comme on dict que la meilleure odeur de ses actions c’est qu’elles soyent insensibles et sourdes.

Et les bonnes senteurs estrangieres, on a raison de les tenir pour suspectes à ceux qui s’en servent, et d’estimer qu’elles soyent employées pour couvrir quelque defaut naturel de ce costé-là. D’où naissent ces rencontres des Poetes anciens : c’est puïr que de santir bon,

Rides nos, Coracine, nil olentes.
Malo quam bene olere, nil olere.
Et ailleurs :
Posthume, non benè olet, qui benè semper olet.

J’ayme pourtant bien fort à estre entretenu de bonnes senteurs, et hay outre mesure les mauvaises, que je tire de plus loing que tout autre :

Namque sagacius unus odoror,
Polypus, an gravis hirsutis cubet hircus in alis
Quam canis acer ubi lateat sus.

Les senteurs plus simples et naturelles me semblent plus aggreables. Et touche ce soing principalement les dames. En la plus espesse barbarie, les femmes Scythes, apres s’estre lavées, se saupoudrent et encroustent tout le corps et le visage de certaine drogue qui naist en leur terroir, odoriferante ; et, pour approcher les hommes, ayans osté ce fard, elles s’en trouvent et polies et parfumées. Quelque odeur que ce soit, c’est merveille combien elle s’attache à moy, et combien j’ay la peau propre à s’en abreuver. Celuy qui se plaint de nature, dequoy elle a laissé l’homme sans instrument à porter les senteurs au nez, a tort, car elles se portent elles mesmes. Mais à moy particulierement, les moustaches, que j’ay pleines, m’en servent. Si j’en approche mes gans ou mon mouchoir, l’odeur y tiendra tout un jour. Elles accusent le lieu d’où je viens. Les estroits baisers de la jeunesse,