Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/267

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si, nocturnus adulter,
Tempora Sanctonico velas adoperta cucullo.

Et l’assiette d’un homme, meslant à une vie execrable la devotion, semble estre aucunement plus condemnable que celle d’un homme conforme à soy, et dissolu par tout. Pourtant refuse nostre Église tous les jours la faveur de son entrée et societé aux mœurs obstinées à quelque insigne malice. Nous prions par usage et par coustume, ou, pour mieux dire, nous lisons ou prononçons nos prieres. Ce n’est en fin que mine. Et me desplaist de voir faire trois signes de croix au benedicite, autant à graces (et plus m’en desplaist il de ce que c’est un signe que j’ay en reverence et continuel usage, mesmement au bailler), et ce pendant, toutes les autres heures du jour, les voir occupées à la haine, l’avarice, l’injustice. Aux vices leur heure, son heure à Dieu, comme par compensation et composition. C’est miracle de voir continuer des actions si diverses, d’une si pareille teneur qu’il ne s’y sente point d’interruption et d’alteration aux confins mesme et passage de l’une à l’autre. Quelle prodigieuse conscience se peut donner repos, nourrissant en mesme giste, d’une societé si accordante et si paisible le crime et le juge ? Un homme de qui la paillardise sans cesse regente la teste, et qui la juge tres-odieuse à la veue divine, que dict-il à Dieu, quand il luy en parle ? Il se rameine ; mais soudain il rechoit. Si l’object de la divine justice et sa presence frappoient comme il dict, et chastioient son ame, pour courte qu’en fust la penitence, la crainte mesme y rejetteroit si souvent sa pensée, qu’incontinent il se verroit maistre de ces vices qui sont habitués et acharnés en luy. Mais quoy ! ceux qui couchent une vie entiere sur le fruit et emolument du peché qu’ils sçavent mortel ? Combien avons-nous de mestiers et vacations reçeues, dequoy l’essence est vicieuse. Et celuy qui, se confessant à moy, me recitoit avoir tout un aage faict profession et les effects d’une religion damnable selon luy, et contradictoire à celle qu’il avoit en son cœur, pour ne perdre son credit et l’honneur de ses charges : comment patissoit-il ce discours en son courage ? De quel langage entretiennent-ils sur ce subject la justice divine ? Leur repentance consistant en visible et maniable reparation, ils perdent et envers Dieu, et envers nous le moyen de l’alleguer. Sont-ils si hardis de demander pardon sans satisfaction et sans repentance ? Je tiens que de ces premiers il en va comme de ceux icy ; mais l’obstination n’y est pas si aisée à convaincre. Cette contrarieté et volubilité d’opinion si soudaine, si violente, qu’ils nous feignent, sent pour moy au miracle. Ils nous representent l’estat d’une indigestible agonie. Que l’imagination me sembloit fantastique, de ceux qui, ces années passées, avoient en usage de reprocher à tout chacun en qui il reluisoit quelque clarté d’esprit, professant la relligion Catholique, que c’estoit à feinte, et tenoient mesme, pour luy faire honneur, quoi qu’il dict par apparence, qu’il ne pouvoit faillir au dedans d’avoir sa creance reformée à leur pied. Fascheuse maladie, de se croire si fort, qu’on se persuade qu’il ne se puisse croire au contraire. Et plus fascheuse encore qu’on se persuade d’un tel esprit, qu’il prefere je ne sçay quelle disparité de fortune presente, aux esperances et menaces de la vie eternelle. Ils m’en peuvent croire. Si rien eust deu tenter ma jeunesse, l’ambition du hazard et difficulté qui suivoient cette recente entreprinse y eust eu bonne part. Ce n’est pas sans grande raison, ce me semble, que l’Église defend l’usage promiscue, temeraire et indiscret des sainctes et divines chansons que le Sainct Esprit a dicté en David. Il ne faut mesler Dieu en nos actions qu’avecque reverence et attention pleine d’honneur et de respect. Cette voix est trop divine pour n’avoir autre usage que d’exercer les poulmons et plaire à nos oreilles : c’est de la conscience qu’elle doit estre produite, et non pas de la langue. Ce n’est pas raison qu’on permette qu’un garçon de boutique, parmy ces vains et frivoles pensemens, s’en entretienne et s’en joue. Ny n’est certes raison de voir tracasser par une sale et par une cuysine le Sainct livre des sacrez mysteres de nostre creance. C’estoyent autrefois mysteres ; ce sont à present desduits et esbats. Ce n’est pas en passant et tumultuairement qu’il faut manier un estude si serieuz et venerable. Ce doibt estre une action destinée et rassise, à laquelle on doibt tousjours adjouster cette preface de nostre office : Sursum corda, et y apporter le corps mesme disposé en contenance qui tesmoigne une particuliere attention et reverence. Ce n’est pas l’estude de tout le monde, c’est l’estude des personnes qui y sont vouées, que Dieu y appelle. Les meschans, les ignorans s’y empirent. Ce n’est pas une histoire à compter, c’est une histoire à reverer, craindre, et adorer. Plaisantes gens, qui pensent l’avoir rendue maniable au peuple, pour l’avoir mise en langage populaire’ Ne tient-il qu’aux mots qu’ils n’entendent tout ce qu’ils trouvent par escrit ? Diray-je plus ? Pour l’en approcher de ce peu, ils l’en reculent. L’ignorance pure et remise toute en autruy estoit bien plus salutaire et plus sçavante que n’est cette science verbale et vaine, nourrice de presomption et de temerité. Je croi aussi, que la liberté à chacun de