Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/30

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confisqué de son frere, au reste ne se presentant occasion de le faire, son affection mesme y contredisant, se laissa si fort espouvanter (comme il a esté adveré) aux belles prognostications qu’on faisoit lors courir de tous costez à l’advantage de l’Empereur Charles cinquiesme, et à nostre des-advantage, mesmes en Italie, où ces folles propheties avoyent trouvé tant de place, qu’à Rome fut baillé grande somme d’argent au change, pour cette opinion de nostre ruine, qu’apres s’estre souvent condolu à ses privez, des maux qu’il voyoit inevitablement preparez à la couronne de France, et aux amis qu’il y avoit, se revolta et changea de party : à son grand dommage pourtant, quelque constellation qu’il y eut. Mais il s’y conduisit en homme combattu de diverses passions. Car ayant et villes et forces en sa main, l’armée ennemye soubs Antoine de Leve à trois pas de luy, et nous sans soubsçon de son faict, il estoit en luy de faire pis qu’il ne fist. Car, pour sa trahison, nous ne perdismes ny homme ny ville que Fossan : encore apres l’avoir long temps contestée.

Prudens futuri temporis exitum
Caliginosa nocte premit Deus,
Ridétque si mortalis ultra
Fas trepidat.
Ille potens sui
Laetusque deget, cui licet in diem
Dixisse, vixi, cras vel atra
Nube polum pater occupato
Vel sole puro.
Laetus in praesens animus, quod ultra est,
Oderit curare.

Et ceux qui croyent ce mot au contraire, le croyent à tort : Ista sic reciprocantur, ut et, si divinatio sit, dii sint ; et, si dii sint, sit divinatio. Beaucoup plus sagement Pacuvius : Nam istis qui linguam avium intelligunt, Plusque ex alieno jecore sapiunt, quam ex suo, Magis audiendum quam auscultandum censeo. Cette tant celebrée art de diviner des Toscans nasquit ainsi. Un laboureur, perçant de son coultre profondement la terre, en veid sourdre Tages, demi-dieu d’un visage enfantin, mais de senile prudence. Chacun y accourut, et furent ses paroles et science recueillie et conservée à plusieurs siecles, contenant les principes et moyens de cette art. Naissance conforme à son progrez. J’aymerois bien mieux regler mes affaires par le sort des dez que par ces songes. Et de vray en toutes republiques on a tousjours laissé bonne part d’authorité au sort. Platon en la police qu’il forge à discretion luy attribue la decision de plusieurs effects d’importance, et veut entre autres choses que les mariages se facent par sort entre les bons ; et donne si grand poids à cette election fortuite que les enfans qui en naissent, il ordonne qu’ils soyent nourris au païs : ceux qui naissent des mauvais en soyent mis hors : toutesfois si quelqu’un de ces bannis venoit par cas d’adventure à montrer en croissant quelque bonne esperance de soy, qu’on le puisse rapeler, et exiler aussi celuy d’entre les retenus qui montrera peu d’esperance de son adolescence. J’en voy qui estudient et glosent leurs Almanachs, et nous en alleguent l’authorité aux choses qui se