imaginations, j’allois, faisant l’ingenieux à prouvoir
par cette superflue reserve à tous inconveniens : et sçavois encore
respondre à celuy qui m’alleguoit que le nombre des inconveniens
estoit trop infiny, que si ce n’estoit à tous, c’estoit à aucuns et
plusieurs. Cela ne se passoit pas sans penible sollicitude.
J’en faisoy un secret : et moy, qui ose tant dire de moy, ne parloy de
mon argent qu’en mensonge, comme font les autres, qui s’appauvrissent
riches, s’enrichissent pauvres, et dispensent leur conscience de jamais
tesmoigner sincerement de ce qu’ils ont : Ridicule et honteuse prudence.
Allois-je en voyage, il ne me sembloit estre jamais suffisamment
prouveu. Et plus je m’estois chargé de monnoye, plus aussi je
m’estois chargé de crainte : tantost de la seurté des chemins, tantost
de la fidelité de ceux qui conduisoient mon bagage : duquel, comme
d’autres que je cognoys, je ne m’asseurois jamais assez si je ne
l’avois
devant mes yeux. Laissoy-je ma boyte chez moy, combien de soubçons et
pensements espineux, et, qui pis est, incommunicables. J’avois
tousjours l’esprit de ce costé.
Tout compté, il y a plus de peine à garder l’argent qu’à
l’acquerir.
Si je n’en faisois du tout tant que j’en dis, au moins il me
coustoit à m’empescher de le faire. De commodité, j’en tirois peu
ou
rien :
pour avoir plus de moyen de despence, elle ne m’en poisoit pas
moins. Car, comme disoit Bion, autant se fache le chevelu comme le
chauve, qu’on luy arrache le poil : et depuis que vous estes
accoustumé
et avez planté vostre fantasie sur certain monceau, il n’est plus à
vostre service :
vous n’oseriez l’escorner.
C’est un bastiment qui, comme il vous semble, crollera tout, si vous
y
touchez. Il faut que la necessité vous prenne à la gorge pour
l’entamer. Et au paravant j’engageois mes hardes, et vendois un
cheval
avec bien moins de contrainte, et moins envys, que lors je ne faisois
bresche à cette bourçe favorie, que je tenois à part. Mais le
danger estoit, que mal ayséement peut-on establir bornes certaines à
ce desir
(elles sont difficiles à trouver és choses qu’on croit bonnes)
et arrester un poinct à l’espargne. On va tousjours grossissant cet
amas et l’augmentant d’un nombre à autre, jusques à se priver
vilainement de la jouyssance de ses propres biens, et l’establir toute
en la garde, et à n’en user point.
Selon cette espece d’usage, ce sont les plus riches gens de monoie,
ceux qui ont charge de la garde des portes et murs d’une bonne ville.
Tout homme pecunieux est avaritieux à mon gré. Platon renge ainsi
les
biens corporels ou humains : la santé, la beauté, la force, la
richesse. Et la richesse, dict-il, n’est pas aveugle, mais tres
clairvoyante, quand elle est illuminée par la prudence.
Dionisius le
fils, eust sur ce propos bonne grace. On l’advertit que l’un de
ses
Syracusains avoit caché dans terre un thresor. Il luy manda de le
luy apporter, ce qu’il fit, s’en réservant à la desrobbée
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