Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/91

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pour cet effect au lendemain le Conseil de ses amis ; mais la nuict d’entredeux il la passa avec grande inquietude, considerant qu’il avoit à faire mourir un jeune homme de bonne maison, et nepveu du grand Pompeius ; et produisoit en se pleignant plusieurs divers discours : Quoy donq, faisoit-il, sera il dict que je demeureray en crainte et en alarme, et que je lairray mon meurtrier se promener cependant à son ayse ? S’en ira il quitte, ayant assailly ma teste que j’ay sauvée de tant de guerres civiles, de tant de batailles, par mer et par terre ? et, aprés avoir estably la paix universelle du monde, sera il absouz, ayant deliberé, non de me meurtrir seulement, mais de me sacrifier ? Car la conjuration estoit faicte de le tuer, comme il feroit quelque sacrifice. Apres cela, s’estant tenu coy quelque espace de temps, il recommençoit d’une vois plus forte, et s’en prenoit à soy-mesme : Pourquoy vis tu, s’il importe à tant de gens que tu meures ? N’y aura-il point de fin à tes vengeances et à tes cruautez ? Ta vie vaut elle que tant de dommage se face pour la conserver ? Livia, sa femme, le sentant en ces angoisses : Et les conseils des femmes y seront-ils receuz, lui fit elle ? Fais ce que font les medecins, quand les receptes accoustumées ne peuvent servir : ils en essayent de contraires. Par severité tu n’as jusques à cette heure rien profité : Lepidus a suivy Salvidienus ; Murena, Lepidus ; Caepio, Murena ; Egnatius, Caepio. Commence à experimenter comment te succederont la douceur et la clemence. Cinna est convaincu : pardonne luy ; de te nuire desormais il ne pourra, et profitera à ta gloire. Auguste fut bien ayse d’avoir trouvé un Advocat de son humeur, et, ayant remercié sa femme et contremandé ses amis qu’il avoit assignez au Conseil, commanda qu’on fit venir à luy Cinna tout seul ; et, ayant fait sortir tout le monde de sa chambre et fait donner un siege à Cinna, il lui parla en cette maniere : En premier lieu je te demande, Cinna, paisible audience. N’interrons pas mon parler,