Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/342

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Diversos diversa juvant, non omnibus annis
Omnia conveniunt.

S’il faut estudier, estudions un estude sortable à nostre condition, afin que nous puissions respondre comme celuy à qui, quand on demanda à quoy faire ces estudes en sa decrepitude : A m’en partir meilleur et plus à mon aise, respondit-il. Tel estude fut celuy du jeune Caton sentant sa fin prochaine, qui se rencontra au discours de Platon, de l’eternité de l’ame. Non, comme il faut croire, qu’il ne fut de long temps garny de toute sorte de munition pour un tel deslogement ; d’asseurance, de volonté ferme et d’instruction il en avoit plus que Platon n’en a en ses escrits : sa science et son courage estoient, pour ce regard, au dessus de la philosophie. Il print cette occupation, non pour le service de sa mort, mais, comme celuy qui n’interrompit pas seulement son sommeil en l’importance d’une telle deliberation, il continua aussi, sans chois et sans changement, ses estudes avec les autres actions accoustumées de sa vie. La nuict qu’il vint d’estre refusé de la Preture, il la passa à jouer ; celle en laquelle il devoit mourir, il la passa à lire : la perte ou de la vie ou de l’office, tout luy fut un.


De la vertu
Chap. XXIX.



JE trouve par experience qu’il y a bien à dire entre les boutées et saillies de l’ame ou une resolue et constante habitude : et voy bien qu’il n’est rien que nous ne puissions, voire jusques à surpasser la divinité mesme, dit quelqu’un, d’autant que c’est plus de se rendre impassible de soy que d’estre tel de sa condition originelle, et jusques à pouvoir joindre à l’imbecillité de l’homme une resolution et asseurance de Dieu. Mais c’est par secousse. Et és vies de ces heros du temps passé, il y a quelque fois des traits miraculeux et qui semblent de bien loing surpasser nos forces naturelles ; mais ce sont traits, à la verité ; et est dur à croire que de ces conditions ainsin eslevées, on en puisse teindre et abreuver l’ame,