Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/606

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roles redites, ont comme autre son, autre sens. Aussi ne hay-ie personne. Et suis si lasche à offencer, que pour le seruice de la raison mesme, ie ne le puis faire. Et lors que l’occasion m’a conuié aux condemnations criminelles, i’ay plustost manqué à la iustice. Vt magis peccari nolim, quàm satis animi ad vindicanda peccata habeam. On reprochoit, dit-on, à Aristote, d’auoir esté trop misericordieux enuers vn meschant homme : I’ay esté de vray, dit-il, misericordieux enuers l’homme, non enuers la meschanceté. Les iugements ordinaires, s’exasperent à la punition par l’horreur du meffaict. Cela mesme refroidit le mien. L’horreur du premier meurtre, m’en faict craindre vn second. Et la laideur de la premiere cruauté m’en faict abhorrer toute imitation. À moy, qui ne suis qu’escuyer de trefles, peut toucher, ce qu’on disoit de Charillus Roy de Sparte : Il ne sçauroit estre bon, puis qu’il n’est pas mauuais aux ineschans. Ou bien ainsi : car Plutarque le presente en ces deux sortes, comme mille autres choses diuersement et contrairement : Il faut bien qu’il soit bon, puis qu’il l’est aux meschants mesme. De mesme qu’aux actions legitimes, ie me fasche de m’y employer, quand c’est enuers ceux qui s’en desplaisent aussi à dire verité, aux illegitimes, ie ne fay pas assez de conscience, de m’y employer, quand c’est enuers ceux qui y consentent.

CHAPITRE XIII.

De l’Experience.


Il n’est desir plus naturel que le desir de cognoissance. Nous essayons tous les moyens qui nous y peuuent mener. Quand la raison nous faut, nous y employons l’experience.

Per varios vsus artem experientia fecit :
Exemplo monstrante viam.

Qui est vn moyen de beaucoup plus foible et plus vil. Mais la verité est chose si grande, que nous ne deuons desdaigner aucune entremise qui nous y conduise. La raison a tant de formes, que nous ne