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ESSAIS DE MONTAIGNE

bien ? » Et à ce même Philippus, un musicien contre lequel il débattait de son art : « Jà à Dieu ne plaise, sire, dit-il, qu’il t’advienne jamais tant de mal, que tu entendes ces choses-là mieux que moi ! » Un roi doit pouvoir répondre, comme Iphicrates répondit à l’orateur qui le pressait, en son invective, de cette manière : « Eh bien ! qu’es-tu, pour faire tant le brave ? es-tu homme d’armes ? es-tu archer ? es-tu piquier ? — Je ne suis rien de tout cela ; mais je suis celui qui sais commander à tous ceux-là. » Et Antisthènes prit pour argument de peu de valeur en Ismenias, de quoi on le vantait d’être excellent joueur de flûte.

Je sais bien, quand j’ois quelqu’un qui s’arrête au langage des Essais, que j’aimerais mieux qu’il s’en tût : ce n’est pas tant élever les mots, comme d’exprimer le sens, d’autant plus piquamment que plus obliquement. Si suis-je trompé, si guère d’autres donnent plus à prendre en la matière ; et, comment que ce soit, mal ou bien, si nul écrivain l’a semée ni guère plus matérielle, ni au moins plus drue en son papier. Pour en ranger davantage, je n’en entasse que les têtes : que j’y attache leur suite, je multiplierai plusieurs lois ce volume. Et combien y ai-je épandu d’histoires qui ne disent mot, lesquelles qui voudra éplucher un peu plus curieusement, en produira infinis Essais. Ni elles, ni mes allégations ne servent pas toujours simplement d’exemple, d’autorité ou d’ornement ; je ne les regarde pas seulement par l’usage que j’en tire : elles portent souvent, hors de mon propos, la semence d’une matière plus riche et plus hardie ; et souvent, à gauche, un ton plus délicat, — et pour moi qui n’en veux en ce lieu exprimer