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CHAPITRE XXVII.

autorité sur tous leurs biens, et loi d’en disposer à leur fantaisie. Et j’ai connu tel seigneur, des premiers officiers de notre couronne, ayant, par espérance de droit à venir, plus de cinquante mille écus de rente, qui est mort nécessiteux et accablé de dettes, âgé de plus de cinquante ans, sa mère, en son extrême décrépitude, jouissant encore de tous ses biens, par l’ordonnance du père qui avait de sa part vécu près de quatre-vingts ans. Cela ne me semble aucunement raisonnable. Pourtant, trouvé-je peu d’avancement à un homme de qui les affaires se portent bien d’aller chercher une femme qui le charge d’une grande dot ; il n’est point de dette étrangère qui apporte plus de ruine aux maisons : mes prédécesseurs ont communément suivi ce conseil bien à propos et moi aussi. Mais ceux qui nous déconseillent les femmes riches, de peur qu’elles soient moins traitables et reconnaissantes, se trompent de faire perdre quelque réelle commodité pour une si frivole conjecture. A une femme déraisonnable, il ne coûte non plus de passer par-dessus une raison que par-dessus une autre ; elles s’aiment le mieux où elles ont plus de tort : l’injustice les allèche, comme les bonnes l’honneur de leurs actions vertueuses ; et en sont débonnaires d’autant plus qu’elles sont plus riches, comme plus volontiers et glorieusement chastes, de ce qu’elles sont belles.

C’est raison de laisser l’administration des affaires aux mères, pendant que les enfants ne sont pas en l’âge, selon les lois, pour en manier la charge ; mais le père les a bien mal nourris, s’il ne peut espérer qu’en leur maturité ils auront plus de sagesse et de suffisance que sa femme, vu l’ordinaire faiblesse du sexe. Bien serait-il